au Château de Ferney 27e fév. 1767
Madame,
Vôtre Majesté Impériale daigne donc me faire juge de la magnanimité avec laquelle elle prend le parti du genre humain.
Ce juge est trop corrompu et trop persuadé qu'on ne peut répondre que des sotises tiranniques à vôtre éxcellent mémoire. Ne pouvoir jouïr des droits de citoïen parce qu'on croit que le St Esprit ne procède que du père, me parait si fou et si sot, que je ne croirais pas cette bêtise, si celles de mon païs ne m'y avaient préparé. Je ne suis pas fait, pour pénétrer dans vos secrêts d'état, mais je serais bien attrapé si vôtre Majesté n'était pas d'accord avec Le Roi de Pologne. Il est philosophe, il est tolérant par principe. J'imagine que vous vous entendez tous deux comme Larrons en foire, pour le bien du genre humain, et pour vous moquer des prêtres intolérants.
Un temps viendra, Madame, je le dis toujours, où toute la lumière nous viendra du nord. Vôtre Majesté Impériale a beau dire, je vous fais étoile, et vous demeurerez étoile. Les ténêbres cimmériennes resteront en Espagne, et à la fin même elles se dissiperont. Vous ne serez ni ognon, ni chate, ni veau d'or, ni bœuf Apis, vous ne serez point de ces dieux qu'on mange, vous êtes de ceux qui donnent à manger. Vous faittes tout le bien que vous pouvez au dedans et au déhors. Les sages feront vôtre apothéose de vôtre vivant; mais vivez longtemps, Madame, celà vaut cent fois mieux que la divinité.
Si vous voulez faire des miracles tâchez seulement de rendre vôtre climat un peu plus chaud. A voir tout ce que Vôtre Majesté fait je croirai que c'est pure malice à elle si elle n'entreprend pas ce changement; j'y suis un peu intéressé, car dès que vous aurez mis la Russie au trentième degré aulieu des environs du soixantième, je vous demanderai la permission d'y venir achever ma vie. Mais en quelque endroit que je végète je vous admirerai malgré vous, et je serai avec le plus profond respect
Madame
De Vôtre Majesté Impériale
Le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire