1766-06-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Catherine II, czarina of Russia.

Madame,

C'est maintenant vers l'étoile du nord qu'il faut que tous les yeux se tournent.
Votre majesté impériale a trouvé un chemin vers la gloire inconnue avant elle à tous les autres souverains. Aucun ne s'était avisé de répandre des bienfaits à sept ou huit cents lieues de ses états. Vous êtes devenue réellement la bienfaictrice de l'Europe; et vous avez acquis plus de sujets par la grandeur de votre âme, que d'autres n'en peuvent conquérir par les armes.

Il y a peutêtre de l'indiscrétion à oser implorer la protection de votre majesté pour les Sirven, après les bontés dont elle a comblé la famille Calas. Je sçais ce que votre majesté a fait de grand et d'utile pour ses peuples. Ce serait se rendre coupable envers eux que de vous supplier de détourner pour une malheureuse famille du Languedoc une partie de la source des biens que vous répandez en Russie. Je ne prends la liberté de vous écrire madame que pour vous prier de modérer vos bontés. Le moindre secours nous suffira. Nous ne demandons que l'honneur de placer votre auguste nom à la tête de ceux qui nous aident à écrazer le fanatisme et à rendre les hommes plus tolérants et plus humains.

J'ay une autre grâce à demander à votre majesté, c'est de daigner permettre que je communique le mémoire dont elle m'a honoré au sujet de cet évêque de Rostow puni pour avoir imaginé qu'il y avait deux puissances. Il n'y en a qu'une Madame, et c'est celle qui est bienfaisante.

Je suis avec le plus profond respect, et la plus vive reconnaissance,

Madame

de votre majesté impériale

le très humble, très obéissant et très obligé serviteur

Voltaire