1767-11-30, de Count Andrei Petrovich Shuvalov à Voltaire [François Marie Arouet].

Nous ne somes donc pas, Monsieur, des flateurs Lorsque nous donons Les plus Grands Eloges à notre Souveraine.
Du Pied du Mont Jura, Votre Voix se joint à la nôtre, et vos acclamations ratifient nos Eloges.

Il Est sûr que plus on Lit L'Histoire plus on se persuade que C'Est un Prodige Lorsqu'un Monarque réunit un Génie Supérieur, une Ame bienfesante, de La philosophie, des Conaissances, à L'amour du Travail, du bien public et de La Solide Gloire, qui Est bien Eloigné de L'amour des Conquettes. Un Certain Professeur en droit du Canton d'Uri dit avoir trouvé ce phénix; Vous qui aimés L'humanité et qui n'avés Ecrit qu'en sa faveur, de semblables Nouvelles doivent vous remplir de joye, et vous Consoler de bien de petites Choses qui se passent dans ce meilleur des mondes possibles.

J'ignore ce qui se passe actuellement dans votre occident; mais je sais bien que Les beaux jours de La Russie sont arrivés, et qu'Elle ofre aujourd'hui un Spectacle unique, digne L'attention du Sage; car où trouverés vous qu'une Souveraine absolue rassemble ses sujets pour Conaitre leurs besoins; qu'Elle Comende à ces mêmes Citoïens, Elûs par Le sufrage le plus Libre de La Nation; de Travailler à un Code de Loix uniforme fondé sur La Raison et L'humanité; qu'elle Exige qu'on fasse des Loix fondamentales, que La Tolérance Domine; que Les Tortures soient abolies; Enfin qu'Elle même done aux Députés une Instruction qui renferme tous Les principes de La Législation et tous Les sentiments de La bienfesance?

Cette Instruction, cette Assamblée Solamnelle de La Nation, cette permission donée aux Citoiens de parler avec Liberté, ces Encouragements qu'Ils trouvent au pied du Trône, tout cela dije forme une Epoque des plus singulières, dont L'histoire de L'Esprit humain puisse faire mention.

Je suis sûr, Monsieur, de vous faire un véritable plaisir en vous Envoiant quelques Détails sur cette matière. Je Començerai par vous Transcrire ou plustôt vous traduire quelques passages de L'Instruction; je finirai par vous dire quelque chose de L'assamblée. Voici quelques unes des Expressions de L'Impératrice qui peut Etre vous feront Conaitre L'Esprit de son ouvrage.

'Faites que Les homes Craignent Les Loix et ne Craignent qu'Elles.

Voulés vous prévenir Les Crimes? Faites que Les Lumières se répandent parmi Les homes.

Il vaut mieux, que Le Souverain Encourage et que Les Loix menaçent.

Il Est vrai qu'une bone Opinion de La Gloire et du pouvoir d'un monarque peut augmenter sa puissance mais une bone Opinion de son Equité produira Les mêmes Effets.

Tout cela ne saurait plaire aux flateurs qui tous Les jours disent aux Souverains que Les Peuples sont créés pour Eux; cependant nous pensons, et mettons notre Gloire à dire, que nous somes créés pour notre Peuple, et par cette raison nous somes obligés de parler des Choses come Elles doivent Etre A Dieu ne plaise qu'après qu'on aura achevé cette Législation, Il se trouve un peuple plus Equitable et par Conséquent plus heureux. Le but des Loix ne serait point rempli, malheur jusqu'au Quel je ne désire pas de Vivre.'

Pour Transcrire tout ce que L'Impératrice dit de Grand et d'utile, Il faudrait transcrire toute son Instruction, mais come vous me Gronderiés si je ne vous disais rien de ce qui Est Ecrit sur votre Chère Tolérance, je vais vous en Citer quelques Lignes.

'Dans un Empire aussi Vaste, qui Etend sa Domination sur tant de Peuples divers, ce serait une Chose très-pernicieuse Capable d'altérer La Tranquilité et La Sûreté des Citoiens, que L'Intolérance des diférentes Religions.

Il n'y a pas assurément d'autre moien de ramener Les Brébis Egarés au Troupeau des Fidèles que de leur permettre leurs diférentes Croiances, ce que ni notre sainte Religion ni La Politique ne peut désaprouver.

La Persécution aigrit L'Esprit des homes, La Liberté de Conscience amolit les coeurs les plus durs.'

C'est après avoir Composé un petit Volume dans ce Genre, que notre Législatrice anonça à la nation Le bienfait qu'Elle allait lui faire. Le manifeste de l'année passée du 14 Décembre, prouvait La nessisité d'un Nouveau Code en Expliquant Les Inconvénients de L'Ancien, Inconvénients qui depuis Longtems fesaient Gémir L'Empire. Mais si d'un Côté on montrait Le mal, de L'autre on ofrait Le remède; Voici come on s'Exprimait: 'Come notre premier désir Est de voir notre peuple aussi heureux et aussi Content qu'Il est possible de L'Etre sur La Terre; pour cet Effet, et pour mieux Conaitre ce qui manque à nos sujets, et en quoi Concistent leurs besoins sensibles, nous Comendons à notre Sénat, au Sinode, à tous Les Collèges, et les Chancelleries de L'Empire, de même qu'à tous Les Districts et à toutes Les Villes d'Envoier des Députés Dans notre Capitale de Moscou, six mois après La publication de ce présent Manifeste. Nous ne Les rassemblons point uniquement pour Conaitre leur besoins, mais nous Les ferons Entrer dans La Comission qui doit dresser Le projet d'un nouveau Code.['] Nottés je vous prie, que plus bas Il Est dit Expressément, que toutes Les Nations soumises au scéptre de Russie, Baptiséés, et non Baptiséés Enveront Egalement des Députés.

C'est sous ces Auspices de Sagesse et de Bonté que Les Députés au Nombre de plus de Cinq Cents se rassemblèrent ici vers L'Eté passé. Vous savés sans doute que C'Est sur La fin de juillet ques'Est faite L'ouverture de La Comission; Les Nouvelles publiques ont dû vous aprendre avec Quelle pompe et quelle Solemnité s'Est faite cette ouverture.

Mais Quelque Chose digne de vous Etre raportée, C'est L'Effet prodigieux que La Lecture de L'Instruction de L'Impératrice a produite sur L'Assemblée. Quel spectacle de voir plus de Cinq Cents Citoïens nés dans diférends Climats, de diférentes Nations, Religions et Classes, dont Les usages et les moeurs se ressemblent si peu, sentir les mêmes Impressions, Eprouver Les mêmes Transports, et Come de Concert faire Eclater Leur Admiration, leur attendrissement et leur Reconnaissance. Voilà une preuve que ce qui Est fondé sur La Raison plait Egalement à tous Les peuples et que Le Désir du bonheur de ses semblables, L'amour de La justice, L'Esprit d'humanité et de Tolérance, ne sont point des Vertus d'Opinion et d'Ostentation Come tant d'autres. Leur régle est dans le fond de nos Coeurs. Pendant La Lecture de cet Ecrit, on Voïait des Larmes Couler de toutes parts, mais ces pleurs redoublèrent Lorsqu'on en Vint à ce passage où L'Impératrice déclare qu'Elle ne désire point de Vivre si Le but de La Législation n'Est point rempli.

Vous sentés bien qu'une semblable magnanimité jointe à toutes Les Vérités sublimes et peu conues qu'on Venait d'Entendre, à tous Les Traits précieux qui Peignaient L'âme de La Souveraine, tout cela dije Engagea Russes, Ukraniens, Livoniens, Cosaques, Tartares, Samoïèdes, à Elever d'une voix Comune un monument à la Gloire de leur Bienfaitrice, à lui donner les Titres de Grande, de Sage et de Mère de la Patrie. Toutes les Nouvelles publiques ont annoncé La réponse de notre Talestris et je Crois que L'histoire en parlera avec Complaisance. Il Est beau de mériter tant de Grands Titres, mais Il Est Encor plus beau de ne Les accepter pas.

Vous seriés surpris, Monsieur, si vous Etiés dans notre assemblée, de L'ordre et de la décence qui y règnent. Cependant tous Les membres y sont parfaitement Egaux. Il n'Est pas rare d'y voir un paisan assis à la droite d'un Cordon Bleu. On Lit actuellement Les Anciènes ordonances pour agir avec conaissance de cause, chaqu'un dit son sentiment avec Liberté, aprouve ou Comdane come Il lui plait.

Mais pour faire Les nouvelles Loix cette assemblée a Elu des Comissions particulières selon Les matières qui sont à traiter. C'Est ainsi que nous avons déjà Les comités des Biens Immeubles, des Etats, des citoiens, de l'Empire, ou de leurs Classes, Et un Comité qui porte le nom de Comission de direction dirige tout le travail des autres comités, et Chaque Loy faite dans un comité ne peut entrer dans Le projet du Code qu'après L'Examen et L'aprobation de la Grande assambléé. Il m'Est doux de vous dire que Votre Elève Est Emploié dans cette Importante affaire. Je dirige Le protocole de La Comission, et je compose des journaux de tout ce qui s'y passe. Je crois que mes feuilles ne seront pas indiférentes pour vos Citoiens à venir.

C'Est à présent que je prens Cicéron pour modèle. Dieu veuille que je puisse un jour en aprocher, mais come Lui je partage aujourd'hui mon tems entre mon devoir et les Lettres; ces dernières me délassent, et je vous jure de les Cultiver dans tous Les Emplois possibles et jusqu'au dernier Instant de ma vie.

Adieu, Monsieur, mes respects à Madame Denis, Mme de Schouvaloff vous fait bien ses compliments ainsi qu'à Elle. Je vous reste toujours attaché bien Tendrement.

P. S. A Propos Il y a une histoire plaisante. Les Capusins et Les françiscains ont déjà eu le tems de se quereller dans La belle colonie de Saratof et de doner un scandale aux âmes crétiénes. Cette engeance qu'aucuns noment La Vermine du Genre humain ne poura't'Elle jamais vivre en repos? Homes obscurs restés obscurs.