1767-09-24, de Prince Dimitri Mikhailovich Galitzin à Voltaire [François Marie Arouet].

Je ne vous ai point envoyé de livres Monsieur comme vous me faites l'honneur de me le mander, mais j'en ai reçu plusieurs de vous, dont Je vous suis infiniment obligé.
Je les ferai passer à mon Impératrice, qui certainement sera très sensible aux choses flatteuses que vous dites d'Elle dans un de vos ouvrages que vous avez eu la bonté de me faire tenir.

Vous ne pouvez pas ignorer, Monsieur, que l'ouverture de l'assemblée des Députés pour la confection d'un Code de Loix, s'est déjà faite à Moscou. Quelques Jours après ces Députés ont demandé à être admis à une audience de l'Impératrice et dans l'effusion de leur âme ils l'ont suplié instament d'accepter les titres de Grande, de Sage et de Mère de la Patrie. L'Impératrice les a refusés et leur a répondu elle même ces propres termes: Pour ce qui regarde les titres que vous voulez que j'accepte de vous, voici ma réponse. 1. Sur celui de grande, Je laisse au tems et à la postérité impartiale à juger de mes actions. 2. Je ne puis nullement prendre le nom de Sage, ce n'est qu'à Dieu seul qu'appartient la sagesse. 3. Vous voulez m'appeller Mère de la Patrie. Je regarde comme le devoir de mon état de chérir les sujets que Dieu m'a confiés, et je n'ai point d'autre désir que de m'en faire aimer.

Vous qui appréciez si bien les choses Monsieur, pourrez vous assez admirer une Princesse qui refuse des titres qu'elle ambitionne Elle même cependant, ne croyant pas les avoir encor assez mérités.

Le grand oeuvre de la Législation est donc commencé dans mon païs, et je vois avancer à grands pas le moment où la Russie va donner à l'Europe l'exemple de la parfaite tolérance. La philosophie y est déjà protégée, mais on me flatte que cette protection y sera consolidée par les loix. C'est sans contredit le plus sûre moyen d'y attirer les philosophes de toute part, éclairer la nation et lui faire sentir tout le prix de son bonheur d'être gouverné par cette incomparable Souveraine.

Je suis impatient Monsieur d'aprendre votre avis sur le livre que je voulois avoir l'honneur de vous envoyer ( l'Ordre naturel et essentiel des sociétés). S'il a votre suffrage, Je le croirai parfait.

Recevez de grâce les assurances de l'estime parfaite et de l'attachement sincère, avec les quels j'ai l'honneur d'être

Monsieur

Votre très humble et très obéisst serviteur

Dimitri Prince de Gallitzin