à Moscou Le 19 février V. S. [2 March n. s.] 1767
Si j'ai été, Monsieur, si Longtems sans vous Ecrire je suis en vérité bien Excusable.
Une feme malade pendant quatre mois, un Enfant mort, un Voiage dans mes terres, deux de Petersbourg à Moscou, tout cela m'a tellement tracassé, que j'ai négligé ce que j'avois de plus précieux, C'est à dire votre très aimable Corespondance.
Les vers Charmants sur notre Carousel que vous avés eu La bonté de m'envoier, ont fait Grand Plaisir à L'Impératrice. Cette souveraine que La vérité nome Le modèle des souverains a pour vous autant d'Estime que Cinq Cents insectes à Paris ont de haine. L'amitié d'une feme supérieure et Couronée doit bien vous Consoler de tout ce que L'Envie et La Calomnie vomissent Contre vous. Je ne suis pas prophète, mais si Catherine régne aussi longtems que Les Russes et Les sages Le désirent, Le 60me degré de L'attitude deviendra L'azile de la philosophie et des philosophes.
Je me flate qu'un Manifeste unique, Garant de notre félicité, manifeste qui respire L'amour de L'humanité, et du bien Etre de tous Les Citoiens est déjà parvenu dans votre retraite. Avoués moi, Monsieur, que L'histoire ofre bien peu d'Exemples de souverains qui Cherchent à Briser le despotisme. Ce miracle Etait réservé pour Le dix huitième csiècle.
J'ai eu Le bonheur de Voir quelques unes des Lettres que vous avés adressées à la Talestris du Nord. Je suis persuadé que Les Lettres de Talestris ne vous Causent pas un plaisir médiocre. Qu'il Est consolant pour vous, Monsieur, d'aprendre qu'il y a une Impératrice dans Le Nord, qui sent Votre mérite, et que Cette Impératrice philosophe fait Le bonheur de vingt millions d'homes.
Je vous Conjure, Monsieur, de vous Souvenir de mon attachement, et de m'honorer de vos lettres, ce qui sera pour Talestris dans mes Lettres sera vu par Talestris. Je vous avoue de plus que j'ai toujours dans L'idée, que votre muse ne Gardera pas Le Silence au bruit d'un manifeste aussi singulier que sublime. Tandis qu'on Oprime L'humanité vers L'occidens on L'honore dans Le Septentrion.
Adieu, Monsieur, mes respects à Madame Denis; mes Compliments à tout ce que j'ai vu dans votre Château, et soiés persuadés que j'ai pour vous toute La Vénération que L'on doit à un Génie supérieur, qui ne travaille que pour rendre les homes heureux.
de Schouvaloff
P. S. Vos Disciples, en philosophie, et en poésie ne sont pas oubliés à La Cour d'une souveraine qui sent votre mérite. Moi pour ma part j'ai obtenu Les Marques de L'ordre de st Anne. Il est vrai que je me Conduis selon ces principes:
Au cas que vous me fassiés L'honeur de m'Ecrire, mon adresse est au Comte André Schouvaloff, Chambellan actuel de S. M. L'Impératrice de toutes les Russies, à Moscou.