1770-05-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Gottlob Louis von Schönberg, Reichsgraf von Schönberg.

Monsieur,

Je persiste à croire que les philosophes m'ont daigné prendre pour leur représentant comme une compagnie fait souvent signer pour elle le moindre de ses associez.
Je consens de signer quoi que j'aye la main fort tremblante.

Vous avez donc Monsieur la bonté d'être un des protecteurs de la statue. Monsieur le duc de Choiseul y a de plus grands droits qu'on ne pense, il fait des vers plus jolis que ceux de nous autres feseurs, et tient le cas secret. J'en ay de lui qui sont charmants.

Je ne sais comment reconnaître ses bontez. Il protège une manufacture de montres que les émigrants de Geneve ont établi dans mon hamau. Il a bien voulu descendre jusqu'à leur faciliter le débit. Je ne verrai pas la ville qu'il va bâtir dans mon voisinage, mais je jouis déjà de tout le bien qu'il veut faire.

Je goûte àprésent malgré tous mes maux le plus grand des plaisirs. Je vois les fruits de la philosophie éclore. Soixante artistes huguenots répandus tout d'un coup dans ma paroisse vivent avec les catholiques comme des frères. Il serait impossible à un étranger de deviner qu'il y a deux relligions dans ce petit canton là. En conscience Messieurs les moines, mr Rose, évêque de Senlis, mrs les curez Aubri et Guincestre cela ne vaut il pas mieux que vos saints Barthelemi?

Peutêtre l'impératrice de Russie opère t'elle àprésent une grande révolution chez les Turcs, mais j'aime mieux celle dont je suis témoin, et j'ay la mine de mourir content. Je crois que ces nouvelles ne déplairont pas au respectable monsieur Dalembert, l'appui de la tolérance et de la vertu et si digne d'être votre ami. Conservez vos bontez monsieur à votre très humble et très obéissant et très reconnaissant serviteur le languissant frère François, plus humain que tous les capucins du monde.