1770-08-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louise Honorine Crozat Du Châtel, duchesse de Choiseul.

Madame,

Après avoir embelli votre royaume de Chanteloup par vos bienfaits, vous venez encore mr le duc de Choiseul et vous d'étendre vos grâces sur notre hameau de Ferney.

Peut-être apprendrez vous tous deux avec quelque satisfaction que nos émigrants ont donné pour la st Louis une petite fête qui a consisté en un très bon souper de cent couverts, avec illumination, feux d'artifice, et des vives le roi sans fin. Peut-être même monsieur le duc ne sera pas fâché d'apprendre au roi qu'il est aimé et célébré par ses nouveaux sujets comme par les anciens.

Vos noms, madame, n'ont été oubliés ni en buvant ni dans le feu d'artifice.

Nous étions tous fort attendris
Voyant du fond de nos tanières
Des Choiseul les beaux noms écrits
En caractères de lumières
Sur nos vieux chênes rabougris
Et parmi nos sèches bruyères.

C'était un plaisir de voir nos huguenots et nos papistes être tous de la même religion en montrant à leurs bienfaiteurs la même reconnaissance.

Rien n'est plus selon mon humeur
Que de voir ces bons hérétiques
Boire et chanter de si grand cœur
Avec nos pauvres catholiques.
Dans cet asile du bonheur
Le prêche est ami de la messe;
Ils se sont dit, Vivons heureux
Et tolérons avec sagesse
Ceux qui se moquent de nous deux.
Que j'aime à voir notre vicaire
Appliquer assez pesamment
Un baiser près du sanctuaire
A la femme du prédicant!

On voit bien après cela, monseigneur, qu'il n'y a pas moyen de refuser un édit de tolérance.

Nos colons, vos protégés, se mettent à vos pieds et nous supplions tous notre bienfaiteur et notre bienfaitrice d'agréer

nos profonds respects et notre reconnaissance.

le vieil ermite de Ferney, secrétaire