1769-11-12, de Marie Louise Denis à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

Je suis arrivée Madame en assez bonne santé.
Je n'ai point eu l'honneur de vous écrir sur le champ par ce que j'ai voulu avoir quel que chose à vous mender. J'ai trouvé Mon Oncle assez bien. Il paraît fort aise de me revoir auprès de lui, et sans me vanter je crois qu'il en avait besoin. Nous avons beaucoup parlé de vous et de Monsieur Dargental, il vous est à tous deux toujours tendrement attaché. Il travaille 15 heures par jour. C'est une passion plus violante que jamais. Je suis persuadée que si notre proget avait réussi nous n'aurions pas pu le lui faire mettre à exécution. Il serait en enfer s'il ne pouvait pas travailler. Il m'a fait des questions sur ce proget auquel j'ai répondu vaguement, lui disant que la réponce étant trop longue à attendre et voiant que la saison s'avansait, que quand même cette réponse aurait été favorable l'hyver aurait empêché qu'il pût en profiter, et que c'est ce qui m'avait enguagé à partir sans l'attendre. Il a bien pris la chose et nous n'en avons plus parlé.

Il fait un ouvrage acutelement qui me plaît fort, c'est un dictionere de belles lettre, histoire, poésie, phisique, métaphisique. C'est un ouvrage long qui l'occupera longtemps et qui le distraira d'autres matières plus dangereuses. Je vous prie en grâce Monsieur et Madame de ne point parler de cela par ce qu'il ne veut point qu'on sache ce qu'il fait. A propos Madame j'ai promis à Mr Dargental de lui dire ce que c'est qu'une certaine Comédie dont nous avions entendu parler et que nous ne connaissions point. Je l'ai lue, c'est Ninon Lenclos, elle est en sinq actes et en vers. Il y a de jollies choses dans le commencement. Le rôle de Ninon est charment, mais malheureusement elle est avec un tas de coquins et de gueux qui font de la peine. Jamais Ninon n'a vu si mauvaise compagnie. Je ne crois pas la pièce jouable. Il l'a donnée à Tiriot et lui a dit d'en faire ce qu'il voudrait. Si vous êtes curieux de la lire tâchez de l'avoir par lui.

Vous aurez ces jours ci une petite brochure sur Louis 14 qui vous fera plaisir. J'aurai soin qu'on vous l'envoie dès qu'elle sera imprimée.

Les deux hommes en question sont toujours ici. Je vis froidement et poliment avec eux et toutes les fois que mon Oncle veut m'en parler je romps la conversation. J'en ai pris mon parti, cela durera ce que cela poura.

Du reste Mr de V. a plus d'imagination que jamais, il fait actuelement des choses charmentes dont j'espère que vous serez très contans. Adieu Madame, conservez moi votre amitié, elle m'est précieuse. J'espère que vous me ferez donner des nouvelles de votre santé et que vous ne doutez pas de mon tendre et respectueux attachement pour la vie.