Dijon, 14 janvier 1769
… Si je ne suis pas enthousiaste de Voltaire, quand il fait, dit, écrit des pauvretés et des sottises, ce qui lui arrive au moins sept fois par jour, je n'en pense pas moins comme vous qu'il ira à tout jamais à la postérité et dans la première classe des beaux esprits.
Toutes les misères dont il nous inonde, tout son rabâchage de controverse, toutes ses basses vilénies sur le grand Corneille, toutes ses antithèses de mauvais goût, toutes ses plates dissertations sur les culs de sac et les culs de lampe, toutes ses infidélités historiques qu'il débite aussi hardiment que s'il avait pris connaissance de ce qu'il écrit, autrement que par la superficie de quelques compilateurs qu'il pille, n'empêcheront pas la Henriade, les Zaïre, Mérope, etc., etc., et mille petites pièces fugitives charmantes, ou en vers ou en prose, de percer de la manière la plus brillante à travers le radotage de dix volumes, dont le vieil énergumène ne cesse de couvrir et d'obscurcir sa gloire passée. Il restera toujours le plus grand coloriste qu'il y ait jamais eu, le plus bel esprit, quoique sans invention, le plus facile, le plus agréable à orner tout ce qu'il manie, à se faire lire avec plaisir par la singularité des idées disparates et heurtées qu'on ne s'attendait pas à trouver ensemble, par l'agrément infini et le brillant continuel de son style. Il restera le maître que nous avons eu dans le style épique qu'il possède et qui le possède, car il s'applique à tout, même où il ne convient pas. Mais avec cela il n'est ni le premier des poètes épiques, ni le premier des tragiques, ni le premier en rien, si ce n'est dans le style mordant où personne ne l'a égalé en aucune langue, ni en aucun siècle, pas même Archiloque. Mais il est le second ou le troisième en mille et mille choses, en tout ce qu'il a voulu faire, même sans le savoir, par la grande facilité de son bel esprit et par les agréments de sa plume. Son grand talent est de savoir écrire, son grand défaut de ne savoir pas construire. J'admire ce qu'il a produit dans la force de son âge comme la postérité l'admirera, ne se souciant nullement si un auteur a eu l'âme vile et le caractère méprisable, quand ses ouvrages sont excellents. Mais je vous avoue que je n'admire ni l'acharnement qu'il a pour rabâcher comme il le fait dans sa vieillesse, ni l'enthousiasme du nombre infini de personnes qui à chaque feuille qu'il distribue par jour au public ne manquent jamais de s'écrier avant que d'avoir lu: 'Ah! que cela est merveilleux, car c'est du Voltaire!' La postérité le mettra à son point, et ce point sera fort élevé.
Le bon abbé d'Olivet est mort de quatre-vingt-douze ans, maladie incurable qui n'avait besoin pour faire son effet ni du caustique d'Alembert, ni du braillard Duclos. Le voilà remplacé par le métaphysicien Condillac. J'étais fort tranquillement dans ma terre et ne m'en suis pas remué, quoique une bonne partie de mm. les quarante m'eussent assuré que, puisque je voulais bien ne donner aucun concurrent pour la précédente à Thomas, qui la méritait si bien, la suivante devait me regarder. Je ne m'en remuerai pas plus à l'avenir, ne voulant l'avoir que comme il convient de l'avoir, et sans aucune espèce de petites intrigues d'usage. J'ai satisfait à la loi, qui est de prévenir le corps qu'on serait honoré si on avait son choix, ce qui est très vrai. Je n'en ferai pas davantage. S'ils me veulent, ils me prendront. Si les intrigants l'emportent, je ne leur envie pas….