à Ferney 3: xbre 1768
Monsieur Le Prince,
Je suis enchanté de vôtre Lettre, et de vôtre souvenir.
Vous réveillez l'assoupissement mortel dans lequel mon âge et mes maladies m'ont plongé. J'ai quelquefois combattu ma langueur par des plaisanteries, qui sont à ce que je vois, parvenues jusqu'à vous. Elles m'ont valu la jolie lettre dont vous m'honorez. Je m'aperçois que certaines plaisanteries sont bonnes à quelque chose. Il y a trente ans qu'aucun gouvernement catholique n'aurait osé faire ce qu'ils font tous aujourd'hui. La raison est venue, et elle rend à la superstition les fers qu'elle avait reçus d'elle.
J'ai eu l'honneur d'avoir chez moi M. Le Duc De Bragance que je crois vôtre beaufrère, ou vôtre oncle, et qui me parait bien digne de vous être quelque chose. Il pense comme vous, et il n'y a plus que des universités comme celles de Louvain où l'on pense autrement. Le monde est bien changé.
Je crois Mr D'Hermenches actuellement à Paris. Il ne doit pas être trop content jusqu'icy de l'expédition de Corse. Je pleure envérité la mort du chevalier de Bétisy cousin de made la princesse de Brionne, et celle de Mr le Comte de Cogny. Je les avais vu tout deux dans ma retraite. Mr De Cogny serait devenu certainement un grand homme. Puissiez vous, Monsieur le Prince, ne vous faire jamais tuer par des montagnards ou par des houzards! Vivez très longtems pour les intérêts de l'esprit, des grâces, et de la Raison. Agréez mon sincère et tendre respect.
V.