1768-05-26, de Jean Le Rond d'Alembert à Voltaire [François Marie Arouet].

J'ai reçu, mon cher et illustre maitre, le poëme et la relation que mr De la Borde m'a envoyés de la part du jeune Franc-comtois, qui me paroit avoir son franc-parler sur les sottises de la Taupinière de Calvin, & les atrocités du Tigre aux yeux de veau; ce franc-comtois peut en toute sûreté tomber sur le janséniste apostat, sans avoir à redouter les protecteurs dont il se vante, & qui sont un peu honteux d'avoir si mal choisi; on donne l'aumône à un gueux, & on trouve très bon qu'un autre lui donne les étrivières, quand il est insolent.

Mr le Comte de Rochefort n'est point à Paris, il est actuellement dans les terres de made sa mère avec sa femme; je crois qu'ils ne tarderont pas à revenir.

Votre ancien disciple vient encore de m'écrire une assez bonne lettre sur l'excommunication du duc de Parme; il me mande que si l'excommunication s'étend jusqu'ici les philosophes en profiteront, que je deviendroi premier aumônier, que Diderot confessera le duc de Choiseul & Marmontel le Dauphin; que j'auroi la feuille des Bénéfices, et que je vous ferai archevêque de Paris ou de Lyon, comme il vous plaira. Ainsi soit il.

Que dites vous de l'expédition de Corse? N'avez vous point peur qu'il n'en résulte une guerre dont l'Europe n'a pas besoin, et nous moins que personne? Que dites vous aussi du train que fait Wilkes en Angleterre? Il me semble que le despotisme n'a pas plus beau jeu dans ce pays-là que la superstition.

Adieu, mon cher & illustre maitre, le Ciel vous tienne en joie et en santé. Je vous embrasse comme je vous aime, c'est à dire ex toto corde et animo.