1761-01-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Vous vous êtes blessé avec vos armes, mon cher et ancien ami.
Il n'y a qu'à ne vous plus battre; et vous serez guéri. Dissipation, régime, et sagesse voylà vos remèdes. Je vous proposerais Tronchin, si je me flattais que vous daignassiez venir dans nos petits royaumes. Mais vous préférerez les bords de la Seine au beau bassin de nos alpes. Je m'intéresse baucoup terétibus suris de notre grand abbé. Vous êtes de jeunes gens en comparaison du vieillard des alpes. Il ne tient qu'à vous de vous porter mieux que moy: je suis né faible, j'ay vécu languissant; j'acquiers dans mes retraittes de la force et même un peu d'imagination. On ne meurt point icy. Nous avons une femme d'esprit de cent trois ans que j'aurais mariée à Fontenelle s'il n'était pas mort jeune. Nous avons aussi l'héritière du nom de Corneille, et ses 17 ans. Vous savez qu'elle a l'esprit très naturel, et que c'est pour cela que Fontenelle l'avait déshéritée. Vous savez touttes mes marches. Il est vray que j'ay fait rendre le bien que les jésuittes avaient usurpé sur six frères tous au services du roy. Mais apprenez que je ne m'en tiens pas lâ. Je suis occupé àprésent à procurer à un prêtre un employ dans les galères. Si je peux faire pendre un prédicant huguenot, sublimi feriam sidera vertice. Je suis comme le musicien de du Fréni, en chantant son opéra, il fait le tout en badinant. Mais je vous aime sérieusement. Autant en fait me Denis. Soyez gai vous di-je; et vous vous porterez à merveilles.

Je vous embrasse ex toto corde.

V.