1730-11-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Porée.

Si vous vous souvenez encore mon révérend père d'un homme qui se souviendra de vous toutte sa vie avec la plus tendre reconnoissance et la plus parfaitte estime, recevez cet ouvrage avec quelque indulgence, et regardez moy comme un fils qui vient après plusieurs années présenter à son père le fruit de ses travaux dans un art qu'il aprit autrefois de luy.
Vous verez par la préface quel a été le sort de cet ouvrage, et j'apprendray par votre décision quel est celuy qu'il mérite. Je n'ose encor me flatter d'avoir lavé le reproche que l'on fait à la France de n'avoir jamais pu produire un poème épique, mais si la Henriade vous plait, si vous y trouvez que j'ay profité de vos leçons; alors sublimi feriam sidera vertice. Surtout mon révérend père je vous supplie instamment de vouloir bien m'instruire si j'ay parlé de la relligion comme je le dois, car s'il y a sur cet article quelques expressions qui vous déplaisent, ne doutez pas que je ne les corrige à la première édition que l'on poura faire encore de mon poème. J'ambitionne votre estime non seulement comme autheur, mais comme chrétien. Je suis Mon révérend père, et je feray profession d'être toutte ma vie avec le zèle le plus vif votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire