1758-10-15, de Claude Adrien Helvétius à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Je compte que vous aurez reçu mon livre avant que ma lettre vous parvienne; Dumoins mon libraire qui s'est chargé de vous le faire tenir le croit déjà entre vos mains.
Je désirerois fort que cet ouvrage fût digne de celuy au quel je l'envoie. Les jesuittes, les abbés Gauchats, Trublet, et une infinité d'autres auront beau crier que je ne suis qu'une bête impie; si j'ay votre suffrage, sublimi feriam sidera vertice.

Lorsque tout le monde me persécute, il est du devoir d'un grand homme de consoler l'opprimé; et c'est ce que vous avez fait, en m'annonçant que cet ouvrage ne vous paroit pas aussy dépourvu d'esprit et de talents que le disent ces messieurs.

Je sçais qu'on trame encor de nouvelles horreurs contre moy. On fera ce qu'on voudra, je prendray mon party, quand il en sera tems. Ce qui me déplaît le plus dans ma situation, c'est de me voir déchiré par une infinité de petits drôles, et de me trouver lié par certaines circonstances de manière que je n'en puisse Ecraser aucun. Il est triste de se voir dévoré soy vivant.

Mandez moy si vous avez mon livre et permettez moy de vous assurer du respect le plus flatteur. C'est celuy que doit à vos talents et à votre génie

Votre très humble et très obéissant serviteur

Helvetius