à Ferney 24 may [1768]
Enfin mon cher ami si leurs altesses Electorales le permettent, ce ne sera plus mon seul petit buste qui leur fera sa cour, ce sera moymême ou plustôt l'ombre de moymême qui viendra se mettre à leurs pieds, et vous embrasser de tout son cœur.
Je serai libre au mois de juillet, je ne serai plus le correcteur d'imprimerie des Crammer. J'ay rempli cette noble fonction 14 ans avec honneur. Le scribendi cacohetes, qui est une maladie funeste, m'a consumé assez. Je veux avant de mourir remplir mon devoir et jouir de quelque consolation. Celle de revoir Shewsingen est ma passion dominante. Je ne peux y aller que dans une saison brûlante, car telle est ma déplorable santé qu'il faut que je fasse du feu dix mois de l'année.
Franchement je ne suis pas fait pour la cour de Monseigneur L'Electeur, il ne se chauffe jamais, il a toutte la vigueur de la jeunesse, il dîne et soupe. Je suis mort au monde, mais la reconnaissance et l'attachement pouront me ranimer. En un mot mort ou vif, je vous embrasserai mon cher ami à la fin de juillet. Je suis bien vieux, mais mon cœur est encor tout neuf.
V.