Aux Délices par Genève 5 juillet 1762
Monseigneur,
Je voudrais que mon bon hiérophante trouvât grâce devant votre altesse électorale.
Il n'est ni janséniste ni moliniste; c'est le meilleur prêtre que je connaisse. Si les jésuites lui avaient ressemblé, ils seraient encore en Portugal, et ne seraient point honnis en France. Toute la famille d'Alexandre, que j'ai mise à vos pieds il y a un mois, attend ce que vous pensez d'elle, pour savoir si elle doit se montrer. Me sera-t-il permis, monseigneur, d'avoir recours à votre protection pour le temporel, après avoir soumis le spirituel à vos lumières? Votre altesse électorale voit que l'âme et le corps du petit Suisse dépendent d'elle. La petite fille de Corneille et son éditeur languissent. J'espère que m. de Békers nous ranimera. C'est auprès de m. de Békers que je vous implore. Je crois qu'il n'y a point auprès de lui de protection meilleure que la votre. Daignez donc souffrir, monseigneur, que j'adresse à votre altesse électorale le triste et discourtois placet que je présente à votre contrôleur général. Il y a de fins courtisans italiens qui prétendent qu'il faut toujours aller au prince par les ministres; et moi, monseigneur, je tiens que dans votre cour il faut aller au ministre par le prince, et que c'est toujours à votre belle âme qu'il faut avoir recours.
Que votre altesse électorale daigne agréer avec sa bonté ordinaire l'attachement, la reconnaissance et le profond respect
De son vieux petit Suisse
Voltaire