1764-02-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, landgrave of Hesse-Cassel.

Monseigneur,

L'aveugle remercie votre altesse sérénissime pour les roués & autres martyrs; votre bonne œuvre pourra être récompensée dans le ciel, mais elle n'y sera pas plus louée qu'elle l'est sur la terre.
On va juger incessamment le procès que la pauvre famille Calas intente à leurs juges. Il est vrai que cette abominable aventure semble être du temps de la Saint Barthelemi, ou de celui des Albigeois. La raison a beau élever son trône parmi nous, le fanatisme dresse encore ses échafauds; & il faut bien du temps pour que la philosophie triomphe de ce monstre entièrement.

J'ai encore à remercier votre altesse sérénissime d'avoir donné la préférence aux acteurs français sur les châtrés italiens. Je n'ai jamais pu m'accoutumer à voir les rôles de César & d'Alexandre fredonnés en fausset par un chapon. Vous avez bien raison de faire plus de cas de votre cœur & de votre esprit que de vos oreilles. Que n'ai je de la santé & de la jeunesse, j'irais à Cassel & n'irais pas plus loin.

Agréez le profond, &c.

Voltaire