1775-12-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Fargès de Polizy.

Monsieur,

Je vous dois les mêmes remerciements que notre petite province, et je suis très sensible à la bonté que vous avez de me donner part du bien que vous lui faittes.
Comme messieurs du conseil sont acoutumés à recevoir encor plus de requêtes que d'actions de grâce je prends la liberté de vous soumettre un Placet au roi, des fabriquants de montres établis à Ferney. Si ce placet vous paraissait Monsieur mériter quelque attention, je vous supplierais de vouloir bien en parler avec Monsieur le controlleur général. Tout ce qui est énoncé dans cette requête est très véritable. Nous sommes bien peu de chose je l'avoue, mais nous travaillons, nous fesons entrer des espèces dans le roiaume, nous y attirons des étrangers, nous peuplons, et nous ne demandons d'autre secours que la liberté d'être utiles. Quand je dis que nous peuplons, ce n'est pas moy qui parle, ce sont mes colons, à moy n'appartient tant d'honneur, mais si je ne fais pas d'enfans, j'en fais faire. J'ay une multitude de petits garçons que leurs pères ramèneront en Suisse, en Savoye, en Allemagne, s'ils ne sont pas traittés favorablement sur votre frontière. J'oserais donc Monsieur demander votre protection pour eux et celle de Monsieur de Trudaine. Il n'est pas possible que le conseil rejettât ce que vous approuveriés l'un et l'autre.

Permettez moy de joindre à la reconnaissance que je vous dois celle que je conserverai jusqu'au dernier jour de ma vie pour monsieur de Trudaine et pour mesdames vos filles qui m'ont honoré de tant de bontés lorsqu'elles sont passé [par] mes déserts. Je suis affligé de mourir sans venir me mettre à leurs pieds.

Agrées le profond respect avec lequel je suis

Monsieur.