1768-01-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François Marmontel.

Voicy, mon cher ami, un petit rogaton qui m'est tombé entre les mains.
Il ne vaut pas grand'chose, mais il mortifiera les cuistres, et c'est tout ce qu'il faut. Je vous demande en grâce de ne jamais dire que je suis vôtre correspondant; cela est essentiel pour vous et pour moi. On est épié de tous côtés.

J'aprends avec une extrême surprise qu'on m'impute un certain diner du comte de Boulainvilliers, que tous les gens un peu au fait savent être de st Hyacinte. Il le fit imprimer en Hollande en 1728. C'est un fait connu de tous les écumeurs de la Littérature. J'attends de vôtre amitié que vous détruirez un bruit si calomnieux et si dangereux. Rien ne me fait plus de peine que de voir les gens de Lettres et mes amis même m'attribuer à l'envi tout ce qui parait sur des matières délicates. Ces bruits sont capables de me perdre, et je suis trop vieux pour me transplanter. Pourquoi me donner ce qui est d'un autre, n'ai je pas assez de mes propres sottises? Je vous suplie de dire, et de faire dire à Mr Suart, dont j'ambitionne l'amitié et la confiance, qu'il est obligé plus que personne à réfuter toutes ces calomnies.

Adieu, vainqueur de la Sorbonne, personne ne marche avec plus de plaisir que moi après vôtre char de triomphe.

Gardez moi un secrêt inviolable.