1768-01-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à André Morellet.

Vous savez, Monsieur, qu'on a donné six cent francs de pension à celui qui a réfuté Freret.
En ce cas il en fallait donner une de douze cent à Frêret lui même. On ne peut guères réfuter plus mal. Je n'ai lu cet ouvrage que depuis quelques jours, et j'ai gémi de voir une si bonne cause deffendue par de si mauvaises raisons. J'admire comme cet écrivain soutient la vérité par des bévues continuelles, et supose toujours ce qui est en question. Il n'apartient qu'à vous, Monsieur, de combattre avec de bonnes armes, et de faire voir le faible de ces apologies qui ne trompent que des ignorants. Grotius, Abadie, Houteville ont fait plus de tort à nôtre sainte religion que Mylord Shaftsburi, Mylord Bolingbroke, Colins, Volston, Spinosa, Boulainvilliers, Boulanger, La Metrie et tant d'autres.

Je ne sais comment on a renouvellé depuis peu une ancienne plaisanterie de l'auteur de Matanasius. Un de mes amis est au désespoir qu'on ose lui attribuer cette brochure, imprimée en Hollande il y a quarante ans. Ces rumeurs injustes peuvent faire un tort irréparable à mon ami, et vous savez quels sont les droits de l'amitié. C'est au nom de ces droits sacrés que je vous conjure de détruire autant qu'il sera en vous une calomnie si dangereuse.

Aureste je suis en tout à vos ordres, et vous pouvez compter sur l'attachement inviolable de vôtre très humble et très obéissant serviteur

L'abbé Yvroie