1768-02-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Je vais bien vous ennuier mon cher ange.
Je vous envoye une profession de foy que je fis l'autre jour à un de mes amis. Je vous donne pour pénitence de la lire. Expiés par là votre énorme péché d'avoir jugé témérairement votre prochain. Vous sentés bien que c'est absolument st Hiacinte et non pas moy, qui a diné.

Je sçais qu'il y a des fanatiques et des furieux, je sçais que les gens qui pensent sont condamnés aux bêtes. L'Europe réclame, l'Europe crie, mais la sagesse n'est rien, la force a tout détruit. Je suis trop vieux pour déménager. Cependant, s'il faut aller mourir ailleurs je prendrai ce party. Ma haine contre certains monstres est trop forte.

J'ay ouï dire qu'on avait envoyé quelque chose à mr Suart. Je ne lui ai certainement rien envoyé et le grand point est qu'il rende justice à cette vérité. Il est très certain qu'il n'y a personne dans Paris qui puisse dire que je lui aie fait tenir un plat de ce diner auquel je n'assistai jamais. Il y a d'autres gens qui envoient. Pour l'homme aux quarante écus, on voit aisément que c'est l'ouvrage d'un calculateur. Le ministère en doit être content. Je n'envoye jamais de brochures à Paris, mais je crois qu'on peut vous faire tenir celle là sans vous compromettre. Je la chercherai si vous en êtes curieux, et vous l'aurez mon très cher ange. Vous n'avez qu'à ordonner.