1768-02-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange, mon gendre m'aporte vôtre Lettre; il est enchanté de vos bontés, et moi je suis désespéré.
Mr Le Duc De Choiseul s'est déclaré violemment contre les Sirven après m'avoir promis qu'il serait leur protecteur. Mais le repas dont vous me parlez me fait encor plus de peine. St Hyacinte était à la vérité un sot dans la conversation; mais il écrivait bien. Il a fait de bons journaux; et il y a de lui un militaire philosophe imprimé depuis peu en Hollande, lequel est ce qu'on a fait peut être de plus fort contre le fanatisme. Le diner a été imprimé sous son nom, pourquoi donc l'attribuer à une autre personne? Celà est injuste et barbare. Il y a plus, celà est très dangereux, et d'une conséquence affreuse. On est déchainé de tous les côtés; on cherche l'ouvrage de st Hyacinte pour le faire brûler. Mr Suart est l'homme du monde le plus capable de détourner des soupçons odieux qui perdraient un vieillard aimé de vous, et rempli pour vous de la tendresse la plus inaltérable.

Vous ai je prié de persuader mr Suart? Non; je vous ai suplié de l'engager à rendre un service digne d'un honnête homme. Il n'importe pas qu'on accuse les morts; mais il importe beaucoup que l'on n'accuse pas les vivants. Que vous coûterait il de prier Mr Suart de passer chez vous et de l'engager à rendre ce service? Je vous le demande au nom de l'amitié. Les personnes avec lesquelles vous vivez en intimité croiront ce qu'elles voudront. Je suis bien sûr qu'elles ne me feront pas de mal, mais les autres peuvent en faire beaucoup.

La poste va partir, je n'ai que le temps de vous dire combien il est nécessaire qu'on ne me calomnie point auprès du Roi, et que Mr Suart et mr L'abbé Arnaud que je vous crois attachés, empêchent qu'on ne me calomnie dans la ville.

Je vous embrasse avec la plus vive tendresse.

V.