1768-02-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bernard Joseph Saurin.

Mon cher confrère, mon cher poëte philosophe, je ne suis point de vôtre avis.
On disait autrefois, Les vertus de Henri 4, et il est permis aujourd'hui de dire les vertus d'Henri 4. Les Italiens se sont défaits des h, et nous pourions bien nous en défaire aussi comme de tant d'autres choses.

J'aime bien mieux

Femme par sa tendresse, héros par son courage,

que,

Femme par sa tendresse, et non par son courage.

Aiez donc le courage de laisser le vers tel qu'il était, et de ne pas affaiblir une grande pensée pour l'intérêt d'un h. Je dirai toujours, ma tendresse héroïque, et celà fera un très bon hémistiche. Ma tendress-eu héroïque, serait barbare.

Le diner dont vous me parlez est sûrement de st Hyacinthe. On a de lui un Militaire philosophe qui est beaucoup plus fort, et qui est très bien écrit. Vous sentez d'ailleurs, mon cher confrère, combien il serait affreux qu'on m'imputât cette brochure, évidemment faitte en 1726 ou 27, puisqu'il y est parlé du commencement des convulsions. Je n'ai qu'un azile au monde. Mon âge, ma santé très dérangée, mes affaires qui le sont aussi, ne me permettent pas de chercher une autre retraitte contre la calomnie. Il faut que les sages s'entr'aident; ils sont trop persécutés par les fous. Engagés vos amis, et surtout mr Suard et mr L'abbé Arnaud, à repousser l'imposture qui m'accuse de la chose du monde la plus dangereuse. On ne fait nul tort à la mémoire de st Hyacinthe en lui attribuant une plaisanterie faitte il y a quarante ans. Les morts se moquent de la calomnie, mais les vivants peuvent en mourir. En un mot, mon cher confrère, je me recommande à vôtre amitié pour que les confesseurs ne soient pas martirs.