1er Mars 1768, au château de Ferney
J'ai toujours sur le cœur, Monsieur, la calomnie qui m'impute mille ouvrages que je ne connais pas, et la mauvaise foi qui se sert de mon nom pour faire courir des épigrammes que je n'ai ni faittes, ni pu faire.
Cette mauvaise foi m'a été extrèmement sensible.
J'apris il y a quelques mois qu'on prétendait que j'avais récité une épigramme, ou plutôt des vers contre vous qui me paraissent très injustes, quoi qu'assez bien faits. Cette imposture fut confondue, mais je fus très affligé. J'en écrivis à made Neker, qu'on me dit être vôtre amie. Je vous en écris aujourd'hui à vous même, Monsieur. Quoique j'aie eu quelques légers sujets de me plaindre de vous, je l'ai entièrement oublié, et les excuses que vous avez bien voulu me faire, m'ont infiniment plus touché que le petit tort dont j'avais sujet de me plaindre ne m'avait été sensible. Il m'était impossible après celà, de rien faire qui pût vous déplaire. J'étais d'ailleurs malade et mourant quand cette épigramme parut. Songez au temps où elle fut faitte. Pouvais je deviner que vous aviez alors une maitresse à l'opéra? était-ce à moi de la faire parler? Je n'ai jamais vu les vers que vous aviez composés pour elle. En un mot, Monsieur, je suis trop vrai, et j'ai trop de franchise pour n'en être pas cru quand j'ai juré à made Neker sur mon honneur que je n'avais nulle part à cette tracasserie.
C'est à vous à savoir quels sont vos ennemis. Pour moi je ne le suis pas. J'ai été très affligé de cette imposture. J'ai des preuves en main qui me justifieraient pleinement, mais je ne veux ni compromettre, ni accuser personne. Je me bornerai à mon devoir, c'est celui de repousser la calomnie.
Voilà, Monsieur, ce que la vérité m'oblige à vous écrire, et cette même vérité doit en être crue quand je vous assure de toute l'estime et de tous les sentiments avec lesquels j'ai l'honneur d'être, Monsieur, vôtre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
Permettez que monsieur le chevalier de Pezai trouve icy les assurances des sentiments que je lui dois.