1767-08-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Gabriel Henri Gaillard.

Mon cher confrère, il est juste qu'un historien qui aime la vérité autant que vous, prenne un peu le parti d'un historien non moins véridique quoi que moins éloquent.
J'avais envoié déjà le mémoire à Mr le vice chancelier. Ce n'est pas mon intérêt dont il s'agit icy, c'est l'honneur de la famille roiale qu'on outrage avec une fureur dont il n'y a point d'éxemple dans les temps de la ligue et de la fronde. C'est le père du roi à qui on ose imputer d'avoir trahi le roiaume; c'est son grandpère contre lequel on vomit des injures des halles. C'est son bizaieul et son prédécesseur Louïs 14 qu'on traitte d'empoisonneurs; c'est son oncle le régent dont on dit les mêmes horreurs; c'est le père de Mgr le prince de Condé qu'on accuse d'être un assassin. Est-il possible qu'un Labeaumelle imprime impunément des impostures dont la moindre pouvait lui attirer le dernier suplice? On réimprime toutes ces bétises à Avignon, et on en fait un ornement du siècle de Louïs 14!

Envérité, mon cher confrère, vous rendrez service aux Lettres en fesant connaître à mr le chancelier l'excez de cette turpitude. Tous les lecteurs sont malins, et plusieurs sont bien sots, et la calomnie se perpétue.

Mr De Chabanon et mr de Laharpe vous font les plus tendres compliments, aussi bien que made Denis.

V.