1767-08-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacques Lacombe.

Je vous suis très obligé, Monsieur, des livres que vous m'envoies.
Ils sont pour l'usage du jeune homme dont je vous avais parlé.

Il serait sans doute bien flatteur pour moi qu'un homme de lettres tel que vous, qui a bien voulu se donner à la tipographie, entreprit la nouvelle édition du Siècle de Louïs 14 que j'ai consacré principalement à la gloire des belles lettres et des beaux arts. J'ai augmenté le catalogue raisonné des gens de lettres d'un grand tiers; et j'ai tâché de détruire plus d'un préjugé et plus d'une fable qui déshonoraient un peu l'histoire littéraire de ce beau siècle. J'en ai usé ainsi, dans la liste des Souverains contemporains, des princes du sang, des généraux et des ministres. D'anciens recueils que j'avais faits pour mon usage, et que j'ai retrouvés, m'ont beaucoup servi. J'ai reçu de toutes parts depuis dix années des instructions que je fais entrer dans le corps de l'ouvrage. J'ose enfin le regarder comme un monument élevé à l'honneur de la France. Il est très triste pour moi que cette édition ne se fasse pas en France; mais vous savez que je suis plus près de Genêve et de Lausanne que de Paris. L'édition est commencée. Ma métode dont je n'ai jamais pu me départir, est de faire imprimer sous mes yeux, et de corriger à chaque feuille ce que je trouve de défectueux dans le stile. J'en use ainsi en vers et en prose. On voit mieux ses fautes quand elles sont imprimées.

Aureste, cette édition est principalement destinée aux païs étrangers. Vous ne sauriez croire quels progrès a fait nôtre langue depuis dix ans dans le nord. On y recherche nos livres avec plus d'avidité qu'en France. Nos gens de lettres instruisent vingt nations tandis qu'ils sont persécutés à Paris, même par ceux qui osent se dire leurs confrères.

Quant au mémoire qui regarde les calomnies absurdes du sr La Beaumelle, il était encor plus nécessaire pour les étrangers que pour les Français. On sait bien à Paris que Louïs 14 n'a point empoisonné le marquis de Louvois; que le Dauphin père du Roi ne s'est point entendu avec les ennemis pour faire prendre Lille; que Mr le Duc père de M: Le prince de Condé d'aujourd'hui, n'a point fait assassiner mr Vergier. Mais à Vienne, à Bude, à Berlin, à Stokolm, à Petersbourg on peut aisément se laisser séduire par le ton audacieux dont Labeaumelle débite ces abominables impostures. Ces mensonges imprimés sont d'autant plus dangereux qu'ils se trouvent aussi à la suitte des lettres de made De Maintenon qui sont pour la pluspart autentiques. Le faux prend la couleur de la vérité à laquelle il est mêlé. La calomnie se perpétue dans l'Europe si on ne prend soin de la détruire. Il est de mon devoir de venger l'honneur de tant de personnes de tout rang outragées, surtout dans des notes infâmes dont ce malheureux a défiguré mon propre ouvrage. J'étais historiographe de France lorsque je commençai le Siècle de Louïs 14. Je dois finir ce que j'ai commencé, je dois laver ce monument de la fange dont on l'a souillé. Enfin je dois me presser aiant peu de temps à vivre.

Recevez monsieur les assurances de mon estime et de mon attachement.

V.

Nb. Il me semble que vous pouriez mettre cette lettre dans votre avant coureur en commençant à ces mots il serait sans doute.

Mr Daquin dont je ne connaissais pas le livre ne m'a pas rendu justice en bien des choses, et surtout dans l'idée où il est que mes ouvrages ont fait ma fortune. Il se trompe baucoup.