Potsdam ce 25 août [1752]
Madame,
Louis XIV ne savait pas tout le bien qu'il devait me faire un jour: il m'attire de la part de Votre Majesté des bontés qui sont assurément la récompense la plus flateuse de mes ouvrages.
Je n'attends pas le moment de ma convalescence pour remercier Votre Majesté de ma main, j'attendrais peut être trop longtems, et mes sentimens ne peuvent tarder à se manifester.
Dans le grand nombre des services que Votre Majesté rend à ses roiaumes, on comptera sans doute le soin qu'Elle prend de rassembler tous les matériaux d'une bonne histoire. Il faut avouer qu'Elle y est intéressée plus que personne. Ce qu'Elle fait aujourdui ne sera pas l'époque la moins glorieuse de la Suède: on y verra la gloire de cet état soutenuë, les divisions appaisées, le commerce autrefois inconnu commençant à fleurir. Le Canal qui va joindre les deux mers, est un ouvrage aussi prodigieux pour le moins que celui qui a fait tant d'honneur à Louis XIV. L'état où je suis ne me permet guères d'espérer d'être témoin de ces merveilles, mais il ne m'empêche pas de le désirer passionément.
Je suis bien fâché que le tome dans lequel j'aurais pu faire usage de la lettre du prince de Condé, soit déjà imprimé. Si on fait encor par la suite quelques nouvelles éditions, je tâcherai d'y insérer ce monument que je tiens des bontés de votre majesté. J'aurai l'honneur de lui envoier celle que l'on fait actuellement, et pour épargner son tems qui est précieux j'aurai soin de marquer avec un sinet les nouveaux articles qui pouront mériter d'Elle un coup d'oeuil, comme l'homme au masque de fer, la paix de Riswick, le testament de Charles II, roi d'Espagne, le mariage clandestin du fameux Bossuet, évêque de Meaux, et enfin des pièces fort singulières, écrites de la main de Louis XIV, dont j'ai eû des Copies autentiques.
Je réitère mes profonds respects, ma reconnaissance et mon attachement inviolable à votre Majesté.
Je me mets avec vénération à ses pieds,
le malade Voltaire