1747-01-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à M. — Moreau.

Permettez monsieur que j'aye l'honneur de m'informer de votre santé, que je crains bien d'avoir dérangée en vous donnant la peine de faire le plus beau discours du monde; vous en avez eu de la gloire et de la fièvre. Mais si la réputation peut guérir vous devez être l'homme du monde le plus sain. Oserai-je monsieur vous proposer d'amuser votre convalescence en faisant venir chez vous Rigoley de Juvigny? Je vous suplie de me faire savoir le jour et l'heure. Rigoley demeure rue Vivienne, chez Mr de St Julien, dont il est commis. Vous ne serez pas fâché de voir les pièces autentiques que j'auray l'honneur de vous montrer. Elles seront un jour une partie intéressante de l'histoire de la littérature. Je vous devray monsieur le maintien de mon honneur, qui m'est baucoup plus cher que toutte la gloire littéraire. Les supérieurs de Juvigni s'en rapportent comme moy à votre arbitrage, et cet homme, en voyant les témoignages irréprochables que je luy montrerai en votre présence, se portera de luy même à prévenir vos ordres. Daignez monsieur faire cette faveur à un honnête homme indignement calomnié depuis si longtemps. Je vous auray une obligation qui ne finira qu'avec ma vie. Cette affaire est la seule qui m'intéresse, et je ne veux aller servir mon semestre auprès du roy que quand je seray digne de paraître devant sa majesté avec une justification que j'espère de vos bontez. J'attends vos ordres et j'ay l'honneur d'être monsieur avec la plus vive et la plus inaltérable reconnaissance,

votre très humble, très obéissant et très obligé serviteur

Voltaire