[January 1760]
Mémoire
Les maladies continüent dans les Campagnes, ce sont des fièvres double tierces, ou continües avec redoublement. Plusieurs malades sont attaqués d'un flux de sang, sont fort agités, et ont beaucoup d'inquiétude dans les jambes. Le domestique qui m'est mort aux Délices, et qui avait éprouvé tous ces symptômes commença, dès qu'il se sentit attaqué par s'aller faire saigner à Genève, sans consulter personne; prit beaucoup de quinquina et augmenta beaucoup son mal. Un de ses frères, fermier dans le païs, lui amena un médecin fort fameux du village de Chaine. Cet illustre médecin qui je crois ne sçait pas lire, a fait languir le malade tout le moins qu'il a pû.
J'ai traitté le jeune garçon dont je prends soin en suivant de point en point les ordres de Monsieur Tronchin. Il est dans la Convalescence; je traitterai de même les fièvres qui ne sont point accompagnées de flux de sang, mais pour ces dernières qui courent aussi dans Genève, et dont Monsieur Tronchin a connu le caractère, pourait-il avoir la bonté de me préscrire une méthode générale que je tâcherais de proportionner aux différents tempéremments, en donnant, par éxemple des doses plus fortes aux tempéremments plus robustes?
Notre pays de Gex n'est pas assez peuplé pour y tuer nos laboureurs et nos vignerons.
Mon cher docteur quand je vins icy je ne m'attendais pas que je serais en vie en 1760, et que j'aurais soin de la vie des autres. Vous avez raison de dire que la vie qui reste aux Français est bien malheureuse. On les a traittez comme le médecin de Chène a traitté mon domestique. N'êtes vous pas dans le cas de souffrir baucoup des remèdes de nos ministres? n'avez vous pas une suppression d'annuitez et de billets? J'ay peur que le mal ne soit incurable.
à dimanche.
V.