[c. 20 August 1752]
Il y a plaisir Madame à être malade lorsqu'on est consolé par des bontés aussi touchantes.
Vos deux lettres m'ont fait plus de bien que Cothénius et Coste. Après vos lettres ce sera votre Quinquina qui m'en fera d'avantage. Il est très vrai que je ne vois guères de médecins que pour la forme, c'est ce qui fait que je commence à me porter beaucoup mieux. Je n'ai plus de fièvre. Je n'aurai jamais une santé bien brillante. La nature ne m'a pas destiné à cette espèce de bonheur-là. Pourvû que j'aie assez de force pour venir me mettre à vos pieds madame pendant que le roi sera en Silésie, je me tiendrai très content.
Je vous prie de bien distinguer entre s'informer des nouvelles de quelqu'un et s'intéresser à quelqu'un. Vos extrèmes bontés me font voir bien sensiblement ces nuances.
Nous avons ici l'abbé de Prades. Il ne faut pas qu'on s'imagine à Berlin que c'est un nouveau La Mettrie. C'est un homme de condition qui pense fort noblement. Il est neveu du commandant des Carabiniers, qui rendit tant de services à la bataille de Fontenoi, et qui prit à Lawfeld le général Ligonier. Il a été persécuté en France assez mal à propos par des fanatiques et des imbéciles, et il est triste qu'il ait pour nouveau persécuteurà Berlin un homme qui n'est ni l'un ni l'autre, mais qui est l'ennemi déclaré de tous ceux qui n'ont pas la bassesse de le prendre pour protecteur.
Vous n'irez donc point à Zerbst, Madame, comme vous le projettiez; pour moi je n'ai en phantaisie de voiager qu'aux lieux où vous êtes. Je vous remercie de vos bontés madame avec la tendresse la plus respectueuse.
le convalescent et le très reconnaissant Voltaire