1743-10-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.
C'est vous qui savez captiver
Mon cœur aux autres rois rebelle,
C'est vous en qui je dois trouver
Une douceur toujours nouvelle,
C'est chez vous qu'il faut achever
Ma vieille histoire universelle,
Dépuceller, enjoliver
Dans vingt chants Jeanne la pucelle,
Et surtout à jamais braver
Des dévots l'infâme séquelle.

Je partirai donc mon adorable maître pour revenir dès que j'auray mis ordre à mes affaires. Je vous parle avec ma franchise ordinaire. J'ay cru m'apercevoir que je vous serois moins agréable si je venois icy avec d'autres, et je vous avoue qu'apartenant uniquement à votre m. j'auray l'âme plus à l'aise.

Je n'ambitionne point du tout d'être chargé d'affaires comme des Touches et Prior, deux poètes qui ont fait deux paix entre la France et l'Angleterre. Vous ferez ce qui vous plaira avec tous les rois de ce monde sans que je m'en mêle, mais je vous conjure instament de m'écrire un mot que je puisse montrer au roy de France. Je vous le demande au nom de touttes vos bontez. Vous luy reprochez, dans la lettre que vous daignâtes m'écrire de Postdam qu'il laisse l'empereur dans la dernière misère et qu'il a fait à Mayence des insinuations contre vos intérêts. Depuis cette lettre écritte votre majesté a su que le roy de France a donné des subsides à l'empereur, et vous ne doutez pas je crois à présent que ce Hatzel qui a négocié ou plutôt brouillé à Mayence ne soit un téméraire qui seroit puni si vous le vouliez. Soyez donc un peu plus content.

Daignez donc je vous en conjure m'écrire quatre lignes en général. Je ne demande autre chose sinon que vous êtes satisfait aujourduy des dispositions de la France, que personne avant moy ne vous a jamais fait un portrait aussi avantageux de son roy, que vous me croyez d'autant plus que je ne vous ay jamais trompé, et que vous êtes bien résolu à vous lier avec un prince aussi sage et aussi ferme que luy. Ces mots vagues ne vous engagent à rien et j'ose dire qu'ils feront un très bon effet, car si on vous a fait des peintures peu honorables du roy de France, je dois vous assurer qu'on vous a peint à luy sous les couleurs les plus noires, et assurément on n'a rendu justice ny à l'un ny à l'autre. Permettez donc que je profite de cette occasion si naturelle pour votre gloire. Je montreray votre lettre au roy de France et je pouray obtenir la restitution d'une partie de mon bien que le bon cardinal m'a ôté. Je viendray icy dépenser ce bien que je vous devray.

Soyez très persuadé du bon effet qu'elle fera. Je ne seray point suspect, et ce sera le second de mes baux jours que celuy où je pouray dire au roy tout ce que je pense de votre personne. Pour le premier de mes jours ce sera celuy où je viendray m'établir à vos pieds et commencer une nouvelle vie qui ne sera que pour vous.