à Potsdam ce vendredy [?23 June 1752]
Malgré ma course d'Hippomene et d'Atalante madame, je suis dans [un] état pire que jamais; un Erésipèle s'est joint à tous mes maux.
Je me baigne, je prends des eaux. Je viendray à Berlin dès que je le pouray, et je n'y viendray assurément que pour vous. Je croirais trahir mon devoir, mes sentiments et ma destinée, si lorsque des évènements si singuliers nous ont réunis dans ce pays cy, je ne cherchais pas touttes les occasions de vous y voir. L'amitié et la reconnaissance me feraient faire de plus grands voyages que celuy de Potsdam à Berlin. Je vous promets que j'aurai encor une conversation sur votre compte. Je vous exhorte cependant à joindre à touttes vos vertus celle de la patience. Faittes comme vous pourez, mais tâchez d'être heureuse.
Votre coureur veut absolument s'en retourner. Il ne me laisse ny le temps d'achever la lecture du manuscrit que vous avez eu la bonté de m'envoyer, ny celuy de répondre à l'autheur. Quelqu'il soit il me parait un homme bien respectable. Je luy demande la permission de garder son manuscript jusqu'à l'arrivée du roy. Je le renveray par ses couriers, et je donne ma parole d'honneur de n'en point tirer de copie, uniquement parce qu'on ne m'en a pas donné la permission. L'ouvrage m'a paru au premier coup d'œil celuy d'un esprit supérieur, profond et cultivé. Je veux le lire et le relire avec toutte l'attention dont je suis capable. J'ay malheureusement baucoup de lettres à écrire aujourduy et demain, et les souffrances où la nature m'a condamné ne me laissent pas tout mon temps à moy. Un pareil ouvrage fera ma consolation. J'en ay besoin loin de vous. Je crois que je n'avais pas moins besoin que vous eussiez la bonté de détruire le bruit qui m'attribuait L'ouvrage dont on dit la Métrie auteur. C'est ce qui a jamais été écrit de plus fort contre des préjugez terribles. Je suis d'un pays où ces préjugez règnent; j'y ay toutte ma fortune, et vous sentez de quelle conséquence il est pour moy que la calomnie ne m'impute pas d'avoir levé l'étendart contre des superstitions que le plus grand des rois aurait de la peine à détruire. Je veux vivre tranquille, et je n'ambitionne ny le martire de Jean Hus ny celuy de Socrate. Il faut philosopher avec des personnes comme vous. Le vulgaire ne mérite pas qu'on pense à l'éclairer. Je compte avoir l'honneur de vous écrire dimanche ou lundy. S'il y a quelque chose de nouvau je vous supplie de m'en instruire. Regardez moy je vous en conjure comme un homme qui vous sera inviolablement dévoué jusqu'au dernier moment de sa vie.
V.