1754-01-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Baron Reinhard von Gemmingen.

Monsieur,

J'ay l'honneur de vous présenter un ouvrage dont vous êtes juge.
Je vous prie de l'agréer comme un témoignage de mon respect et de mon envie de vous plaire.

Soufrez monsieur que je prenne cette occasion pour vous parler d'une petite formalité au sujet de la rente de 7500 R. que j'ay sur S. A. Mgr le duc de Virtemberg: je suis convenu avec le Sr Flaxland, receveur de vos domaines en Alzace, qu'il ne me payerait que sur mes quittances acompagnées d'une lettre de moy. Il est bien sûr que des lettres de ma main sont des certificats de vie plus autentiques que des témoignages étrangers d'un notaire inconnu. Il serait très gênant pour moy et même très préjudiciable d'être obligé de me présenter tous les trois mois à des notaires. Je vous supplie très instamment monsieur d'entrer dans ma situation. Je peux vivre dans une campagne éloignée des notaires et des juges, et très aise de leur être inconnu. Cette formalité d'un certificat de vie n'est admise dans aucun de nos tribunaux; elle ne se pratique qu'à l'hôtel de ville de Paris à cause de la grande quantité d'étrangers et d'inconnus qui ont des rentes viagères sur ce fond public. Mon contract avec S. A. S. ne porte point cette formalité. Je ne peux certainement exiger le payement de ma rente viagère après ma mort. Enfin Monsieur je vous aurai une très grande obligation si vous voulez bien avoir la bonté de me délivrer de cet embaras, et écrire au Sr Flaxland qu'il continue à me payer sur mes lettres et quittances; il n'aura pas longtemps cette peine. Mais tant que je vivray, je seray avec reconnaissance et avec tous les sentimens que je vous dois,

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire gentilhome ord de la chambre du roy &c.