1754-02-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Baron Reinhard von Gemmingen.

Monsieur

Il est très juste que je ne sois paié de ma rente viagère qu'en vertu de preuves incontestables qui certifieront que je suis encor en vie.
Mais, Monsieur, ne sera ce pas une assez forte preuve qu'une lettre de ma main à vous même ou au Banquier Turckheim à Strasbourg, accompagnée d'une lettre et d'une quittance de ma main au Sieur Flackland, paieur de la dite rente? Je vous conjure encor une fois de m'épargner la formalité très génante et très inutile de m'allez présenter devant des juges pour leur signifier que je ne suis pas tout à fait mort. Jugez quel embaras se serait pour moi, si je me trouvais dans une campagne éloignée d'une ville de sept à huit lieuës, il faudrait que je risquasse ma santé en hiver pour aller dire à quelques Baillifs de province que je suis vivant.

J'ai le malheur encor de ne pouvoir pas faire un pas sans que les gazettes en parlent, et c'est un inconvénient que je veux éviter sur toutes choses.

Monsieur le Duc de Bouillon et Monsieur le Duc de Richelieu me paient chacun une petite rente viagère sans éxiger de moi d'autre formalité que ma quittance. Ils se conforment en cela aux loix de nôtre roiaume, et c'est particulièrement, Monsieur, dans les terres du roiaumes de France où ressortissantes aux parlements de ce roiaume que Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Duc de Virtemberg a bien voulu m'assigner ma rente en vertu de l'accord que j'ai eu l'honneur de faire avec lui. Je vous prie Monsieur de vouloir bien lui représenter mes raisons qui sont très fortes, je vous demande pardon de ne vous pas écrire de ma main étant actuellement très malade.

Vous reconnaitrez aisément mon écriture à ce peu de lignes de ma main par les quelles, je vous renouvelle les assurances des sentiments respectueux et pleins de reconnaissance avec les quels je serai autant que je vivray

Monsieur

Votre très humble et très obéisst Servr

Voltaire