1756-03-01, de Louis César de La Baume Le Blanc, duc de La Vallière à Voltaire [François Marie Arouet].

J'ay reçu, mon cher Voltaire le sermon que vous m'avez envoyé et Malgré la saine philosophie qui y règne il m'a inspiré encor plus de respect pour son auteur que pour sa morale.
Un autre effet encor qu'il m'a fait c'est qu'il m'a déterminé à vous demander la plus grande marque d'amitié que vous puissiez me doner. Vous avez près de soizante ans, je l'avoue, vous n'avez pas la santé la plus robuste je le crois, mais vous avez le plus beau génie et la tête la plus harmonieuse, j'en suis sûre, et en començant une nouvelle carrière sous le nom d'un jeune home de quinze ans, dût-il vivre plus que Fontenelle, vous luy fourniriez de quoy se rendre l'home le plus illustre de son siècle. Je ne crains donc pas de vous demander de m'envoyer des pseaumes embellis par vos vers. Vous seul avez été et estes digne de les traduire, vous effacerez Rousseau, vous inspirerez l'édification, et vous me mettrez àportée de faire le plus grande plaisir à Mde — . Ce n'est plus Merope, Lully ni Metastase qu'il nous faut, mais un peu de David, imitez le, enrichissez le, j'admireray votre ouvrage, et n'en seray point jaloux, pourvu qu'il me soit réservé à moy pauvre pécheur de le surpasser avec ma Betzabée. Je seray content, et vous ajouterez à ma satisfaction en m'accordant ce que je vous demande avec la plus grande instance. Donez moy une heure par jour, ne les montrez à persone, et incessament j'en feray faire une édition au Louvre qui fera autant d'honeur à l'auteur que de plaisir au public. Je vous le répète je suis sûr qu'elle en sera enchantée, et je le seray que ce soit par vous que je puisse luy faire un aussi grand plaisir. Je compte sur votre amitié, vous sçavez qu'il y a longtemps, ainsi j'attens incessament les prémices d'un succès certain que je vous prépare. Je ne vous quitte pas pour cela de la Merope royalle, ny de la justification de ma chère amie Jeane. Je ne pouvois me consoler que ce fût un âne qui eût l'honeur de la dépuceler. J'ay bien ouy dire que c'étoit par les peines qu'on arivoit aux plaisirs, mais par les suplices, c'est en vérité trop fort. Adieu mon cher Voltaire, j'atens de vos nouvelles avec la plus grande impatience, vous êtes sûr de ma sincère amitié, vous pouvez l'être aussi de ma véritable reconoissance.