[1763/1764]
Monsieur et très honoré Père,
. . .J'ai passé hier le jour chez Mr de Voltaire.
Je lui ai été présenté par un de ses amis, home d'esprit, grand entousiaste et ami de Rousseau, qui a beaucoup d'imagination, et qu'on peut mettre dans le nombre des plus grand génies de Geneve. Je me suis beaucoup amusé en route. Nous avons parlé de Rousseau, et je lui ai trouvé beaucoup du caractère même de Rousseau qui est peint dans ses livres. Si je vous en parlois d'avantage je ne parlerois point de Voltaire. Arrivés à Ferney, nous avons vu Md Denis qui est fort polie, elle venoit de prendre une leçon d'anglois. Elle appella son oncle qui arriva dans une robe de chambre fourrée de pelisse, dans une grande tignasse et une bonet. Il étoit de fort bon humeur et me demanda de vos nouvelles, il m'a chargé de vous assurer de ses honeurs. On a parlé Politique et Poésie. Mr de Voltaire s'est beaucoup étendu sur l'éloge de Racine, il trouve Iphigénie la meilleure pièce, peut être en fera-t-il une nouvelle édition avec des remarques, come il en a fait de Corneille qui vient de paroître. Il travaille à présent à des petits contes fort jolis qui sont un de ses meilleurs ouvrages. Si vous voulez je vous en enverrai quelques uns. Voltaire a été fort sage sur le conte de la Religion, il a dit quelques plaisanteries sur les saints. Il est encore très robuste; à une rougeur des yeux près il se porte très bien, il m'a beaucoup invité à revenir. Mais en voilà assez de Voltaire . . .
J'ai l'honeur d'être avec un profond respect
V. t. h. et très obéissant serv.
C. D. B.