Ce 24 février [1778]
Permettez-moi, Madame, de vous rendre compte d'une petite affaire qui intéresse un de vos amis, et une de vos admirations; quand je vous aurai raconté les faits, je m'en rapporterai absolument à votre esprit et à votre âme.
On a apporté à M. de Voltaire une lettre de M. Parre, qui chargeait M. de Mouchi de faire d'après les ordres du roi un buste de M. Le maréchal de Saxe et un de M. de Voltaire. M. Pigal vint ensuite demander à M. de Voltaire un jour où il voulût bien lui prêter son visage. M. de Voltaire lui répondit par ces vers que j'estropie peut-être.
Il était impossible de ne pas regarder cet ordre ou come l'effet du désir qu'avait le roi d'avoir un buste de ce grand home, ou come un espèce d'homage qu'il voulait rendre à sa célébrité et à son génie. Cette nouvelle s'est répandue, et autant que dans mon coin je puis juger de la voix publique elle y a applaudi. Maintenant on dit que ces bustes sont un présent destiné par le roi à M. de Marigni, que le choix des sujets est de M. de Marigni. Jusqu'ici M. de Voltaire n'est pas encore détrompé, mais le public le sera bientôt, et le plaisir que cet honeur avait fait à M. de Voltaire, et les louanges qu'on avait données à M. d'Angivillers deviennent maintenant une chose factieuse pour tous deux. N'y aurait-il pas moyen de rendre vrai ce qu'on a crû si aisément parce qu'il était si vraisemblable? Ne pourrait-on pas changer en une cinquiême statue ce buste prétendu? Un home qui aura fait jouer à soixante ans l'une de l'autre deux tragédies qui feront honeur à notre Théâtre, ne mérite-t-il pas des honeurs uniques come lui?
Daignez recevoir, Madame, les assurances du respect avec lequel j'ai L'honeur d'être, votre très humble et très obéissant serviteur
le Mis de Condorcet