Ce dimanche 1er mars 1778
J'avais terminé ma dernière lettre en vous disant: le reste au premier courrier.
Celui qu'on attendait aujourd'hui n'est point venu, peut-être l'aurons nous demain; mais en attendant, l'autre partirait, je ne pourrais plus vous écrire que jeudi, ce serait un petit malheur pour vous; mais comme j'ai plusieurs choses à vous mander, vous me saurez gré de ne pas tarder.
Vous devez vous souvenir qu'il y eut hier huit jours que je vis Voltaire pour la seconde fois. Je vous racontai à peu près cette visite; les jours suivants j'envoyai savoir de ses nouvelles; j'appris, mercrédi 24, qu'il avait eu un vomissement de sang; depuis ce temps il ne voit personne que son médecin, qui est Tronchin. On dit qu'il n'a point de fièvre; il crache tous les jours des caillots de sang qu'on dit être le reste de l'hémorragie. Pour moi, je crois qu'il mourra; beaucoup croient qu'il se tirera d'affaire; c'est sa tragédie qui le tue. Je vais vous faire copier plusiers petits vers; je n'ai que le temps de vous dire un mot; il est cinq heures du soir, je ne fais que m'éveiller. Je vous écrirai par le courrier de jeudi.
Je soupçonne que les vers que Voltaire dit avoir reçus par la petite poste sont de lui même, et qu'il a pris ce tour pour se moquer de Marmontel qui corrige Quinault, et y ajoute des vers de son cru; quoique j'y sois nommée, je n'y ai de part que celle que la rime m'y a donnée.
Vers envoyés à m. de Voltaire par la petite poste, le 20 février au soir
'A charmer tout Paris Piccini doit prétendre:Roland est un chef d'œuvre, il vous faudra l'entendre,'Disait hier au soir madame Du DeffandAu rival des auteurs du Cid et d' Athalie.'Marmontel,' reprit il très vivement, 'm'en prie,Mais ainsi que Tronchin, Quinault me le défend.'
On dit à Voltaire que le roi avait commandé la statue du maréchal de Saxe et la sienne pour mettre dans la galerie du Louvre; cela n'était pas. C'était m. d'Angiviller qui les avait commandées; et les statues ou bustes sont pour m. Marigny. Voltaire croyant que c'était le roi, fit ces vers pour Pigalle:
Le roi sait que votre talentDans le petit et dans le grandFait toujours une œuvre parfaite;Et, par un contraste nouveau,Il veut que votre heureux ciseauDu héros descende au trompette.
Vers de je ne sais pas qui
Le nom de l'acteur est La Rive qui succède à Lekain.
Vers d'un quidam à qui m. de Villette avait refusé de faire voir Voltaire
Petit Villette, c'est en vainQue vous prétendez à la gloire;Vous ne serez jamais qu'un nainQui montre un géant à la foire.
Ce lundi matin 2
Voici encore quatre mauvais vers:
J'appris hier par d'Argental, qui voit Voltaire deux fois le jour, que Tronchin le croit guéri; il n'a point de fièvre, il n'est point faible, il crache encore un peu de sang, mais c'est le reste de l'hémorragie; on est persuadé qu'il en reviendra; je le verrai peut-être aujourd'hui. On dit qu'il renonce au projet de retourner à Ferney, et qu'il fait chercher une maison pour sa nièce et lui; il la voudrait dans mon quartier, j'en serais fort aise; il est tant soit peu supérieur à nos beaux esprits.
J'ai reçu enfin le présent de mme de Montagu: ce sont deux cassolettes d'argent que mon orfèvre estime vingt ou vingt cinq louis; j'en suis désolée, à peine la connaissais je. . . .