à Paris ce 18 7bre 1769
Vous êtes un homme universel, monsieur Guillemet.
Je me doutois bien que vous l'étiés en littérature. Je savois que vous étiez le premier typographe du monde. Vous me prouvez encore que vous étez le meilleur agriculteur et le meilleur fabriquant. Vous me prenés par mon foible. M. de Choiseul a relevé d'anciennes manufactures à Amboise et en a établi de nouvelles. Je crois que tout est mon ouvrage et que je m'y suis donné beaucoup de peines. Je ne parle que de nos cuirs, de nos draps et de nos étoffes de soye de fil et de cotton, quoique personne ne connoisse ces dernières et que le fabriquant meure de faim au milieu de ce célèbre châtau d'Amboise, demeure de tant de rois. J'ay fait venir des moutons de Barbarie dans un pays où je n'ay pas de quoi les nourrir, et je prétens par mes soins avoir une plus belle laine que celle d'Espagne et d'Angleterre. Je veux à la tonte prochaine vous faire faire une pièce de drap de la laine de mes moutons qui sera fabriquée et teinté à Amboise, car je fais aussi comme M. Guillaume les plus belles couleurs du monde avec mon teinturier. Hélas, je crains bien d'avoir aussi comme lui un agnelet qui me tüe mes moutons de peur qu'ils ne meurent de la clavelée car mon pauvre troupeau n'a point augmenté depuis cinq ans que je l'ay; n'attendez pas cependant que je file la laine de votre habit, vous attendriez trop long temps, je me contente de garder les moutons qui la portent.
Ma vaste ambition et mes petits moyens ne se bornent pas à mes cuirs, à ma laine, à mon drap. Je fais actuellement défricher un grand terrain que je veux couvrir de meuriers. Je prétens élever des vers à soye et faire de la soye tout aussi bien que M. Guillemet. Tout le monde admire les bas que vous fabriquez. Si j'en couvrois mes jambes, je serois bien sûre d'avoir toute la France à mes pieds, mais M. Grand Papa ou votre bon ami le capitaine de dragons ne me passeroit pas ces airs de dignité. J'attendray donc pour m'en parer que la curiosité publique soit épuisée à leur égard. Je les porterai un jour pour me vanter toute ma vie de les avoir portés. Puis je les levreray pour les conserver bien précieusement comme un monument de votre gloire et un trophée à la mienne. Continuez M. Guillemet, continuez à unir les connoissances et les talents utiles aux connoissances et aux talents agréables et sublimes, mais que l'amour de l'agriculture et l'ardeur du travail ne vous emportent point jusqu'à négliger le soin de votre boutique. Quels que soient les chef d'œuvres sortis de vos mains, vos travaux littéraires l'emporteront toujours sur vos travaux manuels et l'on vous croira toujours plus propre à débiter de bons livres qu'à fabriquer de beaux bas.
Je suis avec une admiration inaltérable et toujours plus vive, M. Guillemet votre très &c.