1761-08-11, de Count Ivan Ivanovich Shuvalov à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Vous m'obligé infiniment en me donnant l'occasion de participer en quelque façon au service que vous rendés à la famille du grand Corneille.
Votre projet est noble et digne de vous. Ce père du Théâtre français vous a légué tout son génie; et ce que vous faites pour sa mémoire et ses descendans est un tribut de votre reconnaissence. Vous donnés des préceptes de la Philosophie en les remplissant. Cette récompense accordée après la mort, est en même tems une leçon pour les vivans. Immortaliser (come vous faites) les grands homes c'est en perpétuer les modèles. Je vous prie Monsieur de souscrire pour deux cents exemplaires, dont la moitié pour la Bibliothèque de S. M. I. et l'autre sera distribuée par votre serviteur à vos admirateurs; J'enverai par la poste prochaine une adresse à mr Solticoff pour toucher huit cents ducats qui en font la somme, aux ordres que vous lui donnerés.

Je vous suis fort obligé Monsieur de m'avoir comuniqué vos idées sur une nouvelle édition de l'histoire de la Russie. J'arrange actuellement les sujets des Estampes, Je ne manquerai pas de vous les communiquer. Je tâcherai d'obtenir votre aprobation avant que de les faire graver. Votre intention me charme d'autant plus Monsieur que dans cette nouvelle édition vous voudrés bien rédiger le 1. Tome sur les remarques que j'ai eu l'honneur de vous envoyer, et que vous jugerés les plus nécessaires. J'attends cela de votre bonté, je le demande à votre amitié. Vous savés par expérience que l'envie poursuit les grands hommes, Je vous proteste qu'elle attaque la fortune; plusieurs minuties relevées par ces esprits bornés qui ne s'occupent que des détails, retomberaient infailliblement sur celui qui se fera toujours gloire d'être avec l'attachement le plus parfait.

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

I. Schouvallov

NB. Je suis Monsieur presque à la fin du dernier Cahier que vous m'avés fait l'honeur de m'envoyer, en fouillant les journaux de ce tems, cela a retardé jusqu'àprésent. Je conte vous envoyer dans peu par une estafete attendant les autres que vous avés promis de me faire parvenir. Il n'y a pas long tems que j'ai déteré qu'un de nos académiciens allemand a travaillé à la Critique de L'Histoire de Russie. J'ai eu assés de bonheur pour détourner cet home de son inutile ouvrage. Pouvés vous concevoir Monsieur, que les remarques sur les trois premiers chapitres, sont plus grands que tout votre ouvrage. J'ai fait les traduire en français en extrait. Mr Solticoff poura vous les lire. Je vous fais part de cette anecdote pour vous divertir uniquement.