[c.20 December 1746]
Il s'en faut bien monsieur que je regarde la misérable affaire de Juvigni comme finie. Je ne demande rien que de juste, que ce que Mr l'abbé de Nicolai a bien voulu me prometre, et ce qui m'est absolument nécessaire. Je prends donc la liberté de vous importuner encore et de faire un dernier effort pour éviter des suites funestes. Je vous soumets mon mémoire. Ce que j'exige me paroît si raisonable, et compromet même si peu Juvigny, que je ne crois pas que M. l'abbé Nicolaï ait la cruauté de me le refuser. J'ose vous suplier de luy en parler. Je vous le demande instamment. J'ai l'honneur d'être monsieur avec la reconnaissance la plus respectueuse votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
MÉMOIRE
Il ne s'agit pas d'exiger du sieur Rigoley de Juvigny un désaveu humiliant pour luy et dangereux pour sa partie. On ne veut point toucher icy au fond du procez. Il n'est question que des calomnies, étrangères à ce procez, des quelles le sieur de Juvigny avoit rempli son factum, et il paroît que rien ne seroit plus décent pour luy, plus honorable et plus juste que de désavouer ces Impostures qu'il avoit crû trop légèrement. On a fait voir à Monsieur l'abbé de Nicolaï, à Monsieur l'abbé de Breteuil et monsieur Moreau, avocat du Roy, des preuves autentiques qui détruisent ces calomnies. Le sieur de Juvigny dans son factum, parle d'une prétendüe infidélité dans les souscriptions de la Henriade, d'avoir tiré trop d'émoluments de ses ouvrages. Il luy reproche jusqu'à ses voyages en Prusse. Tout cela est assurément fort étranger au procez et il est prouvé par des pièces justificatives que l'auteur qu'il attaque a non seulement fait présent du produit des souscriptions à des gens de lettres qui étoient dans l'indigence mais qu'il a remboursé à ses propres frais toutes les souscriptions de ceux qui avoient eu la négligence de ne pas faire venir le livre d'Angleterre. Il est prouvé qu'il a donné souvent à des gens de lettres tout le produit de ses ouvrages. Les ordres supérieurs par les quels il a fait des voyages en Prusse ne sont pas moins constatez.
Ainsy il se trouve que le sieur de Juvigny, trompé par de faux mémoires, a tourné en reproches odieux les actions les plus vertueuses et les plus honorables. On ne luy demande qu'un désaveu. Monsieur l'abbé de Nicolai et Monsieur l'abbé de Breteuil l'ont toujours fait espérer.
Ce désaveu peut être contenu dans une lettre à Monsieur l'avocat du Roy, il peut être conçû à peu près en ces termes, qui certainement ne feront aucun tort au sieur de Juvigny:
Monsieur, les pièces autentiques que vous [avez] vues ne me laissent que le chagrin d'avoir trop cru des bruits calomnieux que j'ay adopté dans mon mémoire. Je me fais un devoir et un honneur d'avouer qu'on m'en avoit imposé, et si j'avois connu plutôt les actions estimables je leur aurois rendu plus tôt justice. Je saisi au moins cette occasion de luy marquer &c.
Voltaire