1767-07-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Je me flatte, Monseigneur, que c'est par vôtre ordre que Mr De Gudane, commandant au païs de Foix, a fait de justes menaces à Labeaumelle; mais ces menaces ne l'empêchent pas de faire secrettement réimprimer dans Avignon les calomnies affreuses qu'il a vomies contre la maison roiale, et contre tout ce que nous avons de plus respectable en France.
Après le crime de Damiens je n'en connais guères de plus grand que celui d'accuser Louïs 14 d'avoir été un empoisonneur, et de vomir des impostures non moins éxécrables contre tous les princes. J'ignore si vous êtes actuellement à Paris ou à Bordeaux; mais en quelque endroit que vous soiez vos bontés me sont bien chères, et j'espère qu'elles feront toujours la plus grande douceur de ma retraitte. Je compte sur vôtre protection pour les Scythes à Fontainebleau. J'aurai l'honneur de vous envoier la nouvelle édition qu'on fait à Lyon; je vous demanderai qu'il ne soit pas permis aux comédiens de mutiler mes pièces. Vous savez qu'il y a des gens qui croient en savoir beaucoup plus que moi, et qui substituent leurs vers aux miens. Je ne fais pas grand cas de mes vers, mais enfin j'aime mieux mes enfans tordus et bossus, que les beaux bâtards que l'on me donne.

Je ne sçais pas encor quelles sont vos résolutions sur Gallien; il y a longtemps que je ne l'ai vu, il est prèsque toujours à Genêve. Si j'avais cru que vous le destinassiez à être vôtre secrétaire, je l'aurais engagé à former sa main; mais comme vous ne m'avez jamais répondu sur cet article, et que je n'ai point d'autorité sur lui, je me suis borné à le traitter comme un homme qui vous apartient, sans prendre sur moi de lui rien préscrire. Je souhaitte toujours qu'il se rende digne de vos bontés.

Je n'ai que des nouvelles fort vagues touchant le curé de Ste Foy et des protestants qui sont en prison. Cette affaire m'intéresse, parce qu'elle peut beaucoup nuire à celle des Sirven qui se jugera à Compiegne.

Je vous supplie de conserver vos bontez au plus ancien serviteur que vous ayez et au plus respectueusement attaché

V.