1768-02-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Anne Madeleine Louise de La Tour Du Pin, baronne d'Argental.

Vôtre Lettre, Madame, vos bontés, pour mon fils adoptif, vôtre souvenir de mon respectueux attachement pour vous, le désir que vous témoignez d'honorer encor ma chaumière de vôtre présence; tout celà ranime mon cœur et tourne ma vieille tête.
Je suis pénétré de la bienveillance que Mr Le Duc De Choiseul daigne me conserver. Il veut faire quelque chose de mon petit païs barbare; il y aura un peu de peine.

Vous me faittes, Madame, beaucoup d'honneur et un mortel chagrin en m'attribuant l'ouvrage de St Hyacinthe, imprimé il y a quarante ans. Les soupçons dans une matière aussi grave seraient capables de me perdre, et de m'arracher au seul azile qui me reste sur la terre, dans une vieillesse accablée de maladies qui ne me permet pas de me transplanter. Mes derniers jours seraient empoisonnés de la manière la plus funeste.

Je vous conjure, Madame, par toute la bonté de vôtre cœur, de bien dire surtout à Mr Le Duc De Choiseul que je n'ai, ni ne puis avoir aucune part à la foule de ces ouvrages hardis qu'on imprime et qu'on réimprime depuis plusieurs années, et qui ont fait une prodigieuse révolution dans les esprits d'un bout de l'Europe à l'autre.

Puisque vous avez envoié à Mr Le Duc De Choiseul une partie de l'imprimé de st Hyacinthe en manuscrit, vous êtes en droit plus que personne, de certifier que le nom de st Hyacinte est imprimé à la tête de la brochure avec la date de 1728.

De plus, il y a cent traits dans cet ouvrage qui indique évidemment le temps auquel il fut compose. Vous n'étiez pas née alors, Madame, il s'en faut beaucoup, mais toute Jeune que vous êtes, vous avez un cœur toujours occupé de faire du bien. Empêchez donc qu'on ne me fasse du mal. Repoussez la calomnie. Mon fils Dupuits vous doit tout, et je vous devrai autant que lui.

V: t: h: t: o. s. V. avec bien du respect