1748-10-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Joachim de Pierres, cardinal de Bernis.

Je suis si loin de vous accuser, monsieur, d'avoir fait Zadig, que je m'en avouai l'auteur au roi de Pologne, dès que ce petit ouvrage parut; et je crus devoir cet aveu aux bontés de ce monarque, à l'approbation que lui, son confesseur, et les personnes les plus vertueuses donnaient à ce roman moral, qu'on devrait intituler plutôt la Providence que la Destinée, si on osait se servir de ce mot respectable de providence dans un ouvrage de pur amusement.

Je sais que des hommes trompeurs et méchants, qu'apparemment cette même providence emploie depuis longtemps pour me mettre à de très rudes épreuves, ont fait tout ce qu'ils ont pu pour envenimer contre moi la personne respectable dont vous parlez. Je sais de quelles calomnies on m'accable; et avec quel acharnement on s'obstine à me persécuter. Je pardonne à l'envie. J'attends tout du temps, et votre amitié me console. J'espère de cette amitié, de votre discrétion, et de votre équité tout ce que j'en dois espérer. Soyez sûr que mes sentiments d'estime, et mon attachement pour vous sont de toute façon inaltérables.

Voltaire

P. S. Je suis bien certain que j'écris au plus honnête homme du monde, comme au plus aimable.