[de Gotha ce 24 juillet 1767]
Monsieur,
L'indisposition de S. A. S. Madame la Duchesse l'empêche de répondre Elle même à votre Lettre du 18 Juin, dans la quelle vous vous plaignés, Monsieur, d'un outrage qu'on a fait à vôtre réputation, en recourrant à son témoignage et à celui de Monseigneur le Duc.
Elle m'a ordonné de vous assurer, de sa part, et en son nom, qu'Elle se rappelloit très bien d'avoir dit à Monsieur de Voltaire que vous étiés parti de Gotha, avec une gouvernante d'enfans, qui s'étoit éclipsée furtivement de la maison de sa maitresse, après s'être rendue coupable de plusieurs vols, mais qu'Elle ne lui a jamais dit, ni qu'Elle n'avait jamais cru que vous eussiés la moindre part aux vols et à la mauvaise conduite de cette personne. Voilà le témoignage qu'Elle croit devoir rendre à la vérité.
Après m'être acquitté des ordres de S. A. S. Madame la Duchesse, permettés moi, Monsieur, de vous témoigner la part que je prends à ce qui vous arrive, et de vous représenter en même temps combien il doit être désagréable à des Souverains qui aiment les sciences et qui protègent et acceuillent ceux qui les cultivent, de voir après cela qu'on fasse intervenir Leurs noms dans les tracas-series qui font si peu d'honneur aux gens de Lettres.
J'ai l'honneur d'être avec une parfaite considération
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur
Rousseau