1767-10-25, de Jacques Auguste Rousseau à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

C'est avec un serrement de cœur inexprimable que j'ai l'honneur de vous notifier, Monsieur, qu'il a plû au Ciel de nous enlever, le 22 d'octobre entre quatre et cinq heures du matin, S. A. S. Madame la Duchesse, qui vient de terminer sa glorieuse carrière, avec cette fermeté et cette grandeur d'âme qui l'ont accompagnée dans toutes les circonstances de sa vie.
Je ne m'arrêterai pas, Monsieur, à vous dépeindre la désolation de toute la Cour et de tout le Pays. Vous, Monsieur, qui avez eu le bonheur de connoitre depuis longtemps les qualités éminentes de l'esprit et du cœur de cette grande Princesse, vous vous représentés bien vivement nos regrets et nôtre douleur, et je ne doute pas que vous ne préniés la part la plus sincère à la perte que nous venons de faire. Je sors actuellement de l'appartement de la Grande Maîtresse, que j'ai trouvée plongée dans la plus profonde affliction; vous jugés bien, Monsieur, quel terrible coup ce douloureux événement à porté à un cœur aussi sensible que le sien, et qui tenoit à l'illustre Défunte par les plus tendres liens de l'amitié et de la reconnoissance. Hors d'état dans son accablement de vous écrire elle même, cette respectable Dame m'a chargé de vous faire part de cette triste nouvelle, et de vous marquer en même temps, Monsieur, que feüe Madame la Duchesse lui avoit témoigné encore quelques jours avant sa mort qu'Elle étoit touchée des sentiments dont vous aviés en tout temps fait profession à son égard, et qu'Elle les avoit toujours comptés au nombre des douceurs de sa vie. Aussi Msgr. le Duc son inconsolable Epoux et ses sérénissimes Enfans, sont bien persuadés de l'intérêt que vous prenés à Leur situation et Madame de Buchwald qui vous estime, vous chérit et vous admire, se flatte que vous lui conservés toujours votre souvenir et vôtre amitié.

Je profite de cette occasion, Monsieur, pour vous réitérer les assurances du respect inviolable avec lequel j'ai l'honneur d'être,

Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur

Rousseau