Weissenstein Le 6 d’8bre 1772
Monsieur
J’ai reçu par Md Gallatin vôtre Lettre, elle m’a fait un plaisir inexprimable par L’amitié dont vous voulés bien m’assurer, et dont je fais tout le Cas possible.
Je vous prie de ma La Conserver et d’être persuadé que personne ne vous chérit et ne vous admire plus que moy. Mr Mallet m’a quitté par Ennuy et je crois par de mauvais Conseils. Il cherchoit ici des Muses Françoises et par malheur je n’en ai pu Lui donner que des Allemandes, et il a Commencé d’abord à se Brouiller avec tous ses Confrères en Leur reprochant leur peu de goût pour les Belles Lettres. Ses Confrères Lui ont fait entendre que dans son Discours qu’il a prononcé en entrant à L’Académie il y régnoit très peu de goût et que tout son Discours n’étoit qu’un amas Confus de sciences et de Citations d’Anciens Poètes et Autheurs, Les uns entassés sur Les autres. Tout cela Lui a donné beaucoup de dégoût pour ce Pais, et L’a Engagé à nous quitter. Il a trop de feu, trop lu sans ordre et quelquefois La verve de son imagination L’emporte tellement que je crains qu’à la fin cela ne Le mènera ou à La démence ou à L’imbécilité. Que je suis Charmé d’avoir pu vous offrir d’ici quelque chose qui puisse vous faire plaisir, quand ce ne seroit que des Asperges, et que je suis fâché de ne pas pouvoir Les Manger avec vous ou ici ou à Fernex. Quel charme pour moy si je pouvois espérer de vous revoir Bientôt. Je ferai tout mon possible pour cela, L’amitié étant pour moy la plus grande Consolation de La vie. La Révolution de Suede a été faite avec Beaucoup de Prudence et de fermeté. Il faudra voir Comment Les Puissances voisines le Prendront. Adieu Mon Cher Ami, aimés moy toujours, vivés encore Longtems, écrivés moy aussi souvent que vous Le pourrés sans que cela vous incommode et soyés persuadé de La sincère amitié avec la quelle je serai pour toujours.
Monsieur
votre très humble & très obéissant serviteur
Frederic L. d’Hesse