à Alby ce 26 mars 1767
J'ai attendu, Mon cher confrère, pour répondre à votre dernière lettre, d'avoir lû les discours de M. Thomas Et de M. de la Harpe.
Le style du premier ne me plait guères que dans les nôtes qui accompagnent ses éloges. Je n'aime point le style oriental, qui se met à la mode. Il est dommage qu'on ne cherche plus à allier la force avec le naturel, et que Lucain ait parmi nous plus d'imitateurs que Virgile. En général J'ai été content de la manière d'écrire de M. de la Harpe; s'il passe encore quelque tems avec vous, il achèvera de perfectionner des talens qui donnent Les plus grandes espérances. Dès que vos Scytes seront imprimés, je vous prie de m'en envoyer un exemplaire. J'aime toujours les lettres, et même les vers, surtout quand c'est vous qui les avés faits; rarement j'en lis d'autres. Je deviens vieux, Mon cher confrère, puisque je deviens si difficile. J'espère que nous Verrons bientôt vos commentaires sur la petite guerre de Geneve. Il ne tiendra qu'à vous de les écrire comme César. L'intérêt des événements ne pourra être le même, et je crois que les comptes de votre maitre d'hôtel y joueront le premier rôle. Dans vos moments de loisir je vous prie de vous mocquer un peu de la bouffissure, qui règne aujourd'hui en fait de goût. Dès que les premières bornes sont franchies, on ne sait plus, Jusqu'où l'on pourra aller, nous touchons presqu'au galimathias. Est il possible que dans un siècle où vous écrivés, on s'éloigne si fort du style de Racine, de Despreaux et du vôtre? Rendés encore ce service aux lettres. Vous pouvés faire cette heureuse révolution en vous jouant. Adieu, Mon cher confrère, soyés toujours bien aimable, vivés, malgré la délicatesse de vos organes et la vivacité de vôtre âme: soyés un prodige dans le monde phisique, comme dans le monde moral, et surtout ayés de l'amitié pour moi, qui vous admire et vous aime.
L. c. de B.