Alby ce 22 juin 1767
J'ay Lu avec intérêt, mon cher Confrère, Le mémoire des Siruen.
Je souhaite de tout mon cœur que justice Leur soit rendüe et que Leurs malheurs soient réparés. O combien L'ignorance et Les passions ont sacrifié de victimes! et combien cette partie de l'histoire du genre humain humilie Les esprits éclairés et afflige Les âmes sensibles! Ces sacrifices sanglants, répétés d'âge en âge, et dans tous Les pays, ne doivent pas nous rendre misantropes, mais nous exciter à La bienfaisance. Les belles âmes se croyent chargées de réparer toutes Les injustices exercées par Le plus fort sur le plus foible. J'aime en vous de préférence (même à vos talents, que j'admire) le penchant qui vous porte à protéger Le foible et à secourir L'opprimé. Vos belles actions en ce genre dureront autant que vos ouvrages; on ne pourra pas dire que vous ayés cru que La vertu n'estoit qu'une chimère, Mais on dit que vous vous estes amusé â faire dans notre Langue La secchia rapita. Si cela est assés grave pour moy, faites m'en part. J'attends vos Scytes mieux imprimés. J'aime toujours Les Lettres; elles m'ont fait plus de bien que je ne Leur ay fait d'honneur; mille entraves m'ont empêché de m'y livrer entièrement, rien ne m'empêchera de Les honorer, de Les chérir, ni d'admirer, ni d'aimer de tout mon cœur celui qui dans notre siècle Les a cultivées avec une si grande supériorité. Vale.