23e avril 1766
Mon cher confrère, j'attends vôtre Lucain, et j'attendrai vôtre Belisaire avec plus d'impatience encore, parce qu'il sera entièrement de vous.
C'est un sujet digne de vôtre plume, il est intéressant, moral, politique; il présente les plus grands tableaux. Si nous étions raisonnables je vous conseillerais d'en faire une Tragédie. Je soutiendrai toujours que vous étiez destiné à en faire d'excellentes, et que ceux qui vous ont dégoûté sont coupables envers la nation.
Vous n'irez donc point en Pologne avec Made De Geoffrin? Cependant, quant le Reine de Saba alla voir Salomon elle avait assurément un écuyer; vous feriez un voiage charmant, mais je voudrais que vous passassiez par chez nous.
Il est très vrai que la raison perce, même en Italie, et que le nord commence à corriger le midi. Les progrès sont lents, mais enfin les nuages se dissipent insensiblement de tous côtés; les rois et les peuples s'en trouveront mieux; les prêtres mêmes y gagneront plus qu'ils ne pensent; car étant forcés d'être moins fripons et moins fanatiques, ils seront moins haïs et moins méprisés.
Je viens de lire l'article Langue hébraïque suivant vôtre bon conseil; il est savant et philosophique. L'auteur n'a pas osé tout dire; il est incontestable que l'hébreu était anciennement une dialecte de la langue phénicienne. Les Hébreux appelaient la Phénicie le païs des savants; et une grande preuve qu'ils n'ont jamais habité en Egypte c'est qu'ils n'ont jamais eu un seul mot Egyptien dans leur langue, ou plutôt dans leur misérable jargon.
J'ai lu quelque chose d'une antiquité dévoilée, ou plutôt très voilée. L'auteur commence par le Déluge et finit toujours par le cahos. J'aime mieux, mon cher confrère, un seul de vos contes ques tous ces fatras.
Made Denis vous fait mille compliments. Je suis bien malade, je m'affaiblis tous les jours; je vous aimerai jusqu'au dernier moment de ma vie.
V.